Salut, c’est Lize.
Dans la vidéo précédente, nous avons vu comment, après une nuit passée à refaire le monde, fortement arrosée de théologie, le seigneur Caduon a donné à saint Méen des terres situées près de la rivière du Meu, dans la forêt de Brocéliande. Saint Méen, qu’on nomme aussi Meven ou Mewen, et en anglais Saint Mewan, a construit le monastère Saint-Jean de Gaël, à côté de la source aux vertus curatives qui fut un lieu de pèlerinage réputé dès le Moyen-Âge.
Selon Dom Lobineau, auteur en 1723 des Vies des Saints de Bretagne, le monastère fut créé aux environs de l’an 600 ; Dom Plaine, dans sa Vie Inédite de Saint Méen de 1884, situe la construction plutôt vers 570.
Comme la plupart des saints, Mewen pouvait faire des miracles : par exemple, il interdit aux animaux qui détruisaient les récoltes de l’abbaye de continuer leurs ravages. Sur un signe de croix, ils s’enfoncèrent dans la forêt et ne revinrent jamais. Magie du signe de croix. Voilà pour une simple mise en jambes coutumière aux saints bretons.
Mais ce que Dom Lobineau trouve beaucoup plus digne d’intérêt, c’est l’affaire Haeloc. Pas sympa, le Haeloc : un seigneur fier, intraitable, hautain, sans pitié, sans respect pour les choses sacrées et d’une extrême cruauté. Il semble qu’il avait mis dans une basse-fosse un de ses serviteurs pour une broutille. Et non content de l’avoir jeté dans ce sombre cachot et de l’avoir condamné à mort, il le faisait aussi torturer. Le malheureux poussait des cris fort justifiés, quand saint Méen vint à passer par là. Celui-ci, touché de compassion, se rendit chez le comte Haeloc et lui demanda humblement, au nom de Jésus-Christ, de libérer le pauvre homme. Le comte, qui n’avait rien à faire ni de Jésus-Christ ni de ses représentants sur terre, l’envoya paître avec insulte et mépris. Mais Mewen ne lâchait rien, surtout si on lui parlait mal, et il se plaignit de l’offense auprès de son Dieu. On peut reprocher pas mal de choses à Dieu mais reconnaissons que quand il s’agit de défendre ses saints, il est là. Pour preuve, les chaînes du prisonnier soudain se brisèrent, les portes du cachot s’ouvrirent et le malheureux serviteur courut se réfugier au monastère de saint Méen. Le comte Haeloc fut très mécontent de cette intervention divine et il envoya ses gens rattraper le fugitif, avec ordre de le ramener enchaîné. Mewen leur barra l’accès à l’abbaye, les menaça de châtiments effroyables dans l’au-delà, peut-être aussi d’une malédiction sur leur descendance pour sept générations, en tout cas, ils rentrèrent penauds au château. Haeloc, comme nous l’avons dit n’avait cure ni des malédictions ni des flammes de l’Enfer, il se précipita vers l’abbaye, enfonça les portes, ré-injuria copieusement saint Méen et repartit avec sa proie. Alors Mewen prit sa tête de Breton outragé – les Bretons sont sympas mais faut pas venir les insulter chez eux – et il dit au comte qu’en punition de sa mauvaise conduite, il mourrait sous trois jours. L’autre rigola, se moqua grassement mais en rentrant, tomba de cheval, se rompit tout le corps… plus une cuisse ! Bah, c’est dans le texte de Lobineau : il se brisa tout le corps et se rompit une cuisse. J’ai un doute sur ce que représente cette cuisse. Bref, il est à l’agonie, il se repent, fait appeler saint Méen, s’excuse, s’humilie devant Dieu, Mewen lui donne l’absolution et le laisse crever !
Ceci ne fait pas du tout l’affaire de notre Dom Lobineau, moine bénédictin qui prêche une religion de miséricorde divine. Et voilà qu’il réécrit la Vita. « Non, dit-il, ça n’a pas pu se passer ainsi, d’ailleurs dans la Vita de Malo, ce même Haeloc repentant est pardonné », et dans une sidérante transformation, il devient gentil et ne fait que du bien autour de lui.
Bon ben, alors, c’est chacun sa Vita, dans celle de Malo on est plutôt cool, dans celle de Mewen, si on peut se débarrasser d’un méchant, on n’hésite pas, on le tue.
Après cela, saint Méen quitte le monastère et se rend en pèlerinage à Rome. Par esprit de pénitence et de piété, comme l’assure sa Légende manuscrite, nous dit encore Dom Lobineau. Puis pas un mot sur ce qu’il fait à Rome, on passe directement à son retour par Angers. Ça c’est de la belle ellipse. Une ellipse, c’est quand l’auteur passe sous silence un moment de la narration ou la résume en quelques mots. Ici, rien n’est dit sur cet événement de la vie de saint Méen. Pourtant, à l’époque, un aller-retour Brocéliande-Italie, c’était pas un « Weekend à Rome » ! Moi, les ellipses, ça m’excite ! Faut que j’aille voir, faut que je fouille, faut que je cherche ce qu’on passe sous silence.
Voyons. Dom Lobineau nous a dit plus haut que le monastère avait été construit vers 600, mais Dom Plaine place le voyage à Rome entre 580 et 600. Pour me concilier leurs bonne grâces à tous les deux, je me situe vers 595. Que se passe-t-il à Rome à ce moment ? Et d’abord qui est le pape ?
Grégoire 1er, dit Grégoire le Grand, pape entre 590 et 604. Dites-moi, messieurs Lobineau et Plaine, vous ne seriez pas en train de vous ficher un tout petit peu de ma petite goule ? Vous voulez me faire croire que sous Grégoire le Grand, saint Méen est allé à Rome uniquement pour prier sur les saintes reliques de Pierre et Paul ? Saint Méen, aux compétences de négociateur politique reconnues par Samson, Grégoire le Grand, le pape qui voulait unifier toutes les chrétientés sous la loi de l’Église de Rome – donc la sienne ? Qui voulait obliger les Bretons de petite et de grande Bretagne ainsi que les Irlandais à fêter Pâques à la date décidée par Rome – donc par lui ? Qui voulait obliger les moines bretons à renoncer à leur tonsure rasée devant et les cheveux longs derrière ? Qui a mené la plus grande campagne de conversion des Angles au catholicisme, les Angles, ces ennemis jurés des Bretons de Grande-Bretagne, des barbares qui ont envahi leurs terres et les ont poussés vers l’Ouest, des païens que les moines british ont absolument refusé de convertir à la religion du Christ, par crainte de les retrouver au Paradis et de les supporter pour l’éternité ? Non, mais vraiment, Monsieur Lobineau, vous me feriez croire que saint Méen a entrepris le voyage de Rome simplement pour visiter deux ou trois églises et rentrer tout guilleret dans sa forêt bretonne… en chantonnant des psaumes ?
Eh bien, puisque chacun raconte l’histoire à sa manière, je vais vous donner ma version.
Grégoire 1er était un fondu de la conversion. Dès qu’il voyait un païen, il fallait qu’il l’évangélise. Dans la foi catholique, pas en chrétien arien, ces hérétiques qui prétendaient que Jésus ne pouvait pas être Dieu autant que son père, puisque le père était forcément né avant le fils, donc avait existé avant lui, donc Jésus ayant un commencement ne pouvait être éternel comme son père, donc il était différent. Pour Grégoire, conformément au premier concile de Nicée, Jésus est Dieu tout autant que son père, le Père et le Fils sont de même nature, de même substance car ils sont un seul et même Dieu. Comment c’est possible ? On ne sait pas, mais justement c’est ça la foi. Bon, ce n’est pas notre sujet : ce qui nous intéresse c’est de comprendre pourquoi saint Méen venait à Rome.
On raconte qu’un jour, alors que Grégoire faisait son marché… il trouva des petits enfants tout blonds et mignons à vendre sur le marché aux esclaves. Il demande d’où ils viennent. On lui répond qu’ils ont été capturés chez le peuple païen des Angles, ceux qui ont envahi une partie de l’île de Bretagne. Des païens ! il les trouve de plus en plus adorables ces chérubins ! « Deum de Deo » ! s’exclame-t-il, « Dieu né de Dieu » ! Des petits Angles ? Non, des petits anges ! Et tout content de sa blague, il décide d’envoyer un groupe de moines romains convertir ces sauvages. « Ce qu’il fit ! » en 596.
Par ailleurs sachant que Grégoire aurait voulu s’appuyer sur les moines celtes du Pays de Galles et de Cornouailles pour amener ces Angles, leurs voisins, à la religion du Christ mais que, comme vu précédemment, ceux-ci n’avaient aucune envie de partager un même dieu avec ces envahisseurs, alors, on peut fort bien imaginer que Samson, notre Samson de Dol, grand stratège, ait envoyé son neveu, le super négociateur Mewen, à Rome, pour voir ce que traficotait Grégoire. N’oublions pas que Samson et Mewen étaient originaires du Pays de Galles, donc solidaires de leurs copains restés au pays.
Et comme Grégoire se considérait comme le maître de la chrétienté, à tous les coups, apprenant la présence de saint Méen à Rome, il l’a convoqué dans la ferme intention de le rallier à sa cause, d’en faire une sorte de taupe. Mais, quand il lui a assené qu’il avait raison pour tout, juste parce qu’il était le Pape : pour la date de Pâques, pour la conversion des Angles, pour le rôle des femmes dans la liturgie et qu’en plus il lui a dit d’aller se faire couper les cheveux… ça ne s’est pas très bien passé.
Nous avions déjà constaté que Mewen était une vraie tête de Breton, têtu comme un bourricot. Il s’est fâché tout net, « Qui t’es, toi, pour me parler sur ce ton ? Qui t’es pour oublier que nous avons été les premiers à enseigner la parole du Christ sur l’île de Bretagne, tu nous renies pour convertir des petits blondinets ?» Et il est parti, furieux, rouge de colère, donnant des coups de bâton sur le sol dallé du palais du Pape. Et il a marché, marché, marché encore, il n’arrivait pas à se calmer. « Couper mes cheveux ! Couper mes cheveux ! Jamais !» Il a marché comme ça jusqu’à Angers, toujours hors de lui.
Alors, forcément, le premier pauvre dragon qui s’est trouvé sur son chemin, il a pris cher !
Et voilà, je reboucle avec les Vita des amis Lobineau et Plaine. Je n’ai pas été très sympa avec Grégoire, mais bon, fallait pas me faire le coup de l’ellipse.
Pour me faire pardonner, je ferai une vidéo sur Grégoire quand j’aurai terminé le Tro Breiz. Il m’a l’air d’un personnage complexe, celui-là.
Revenons au dragon. Il avait pris résidence près d’Angers sur les terres d’une dame pieuse qui en était fort incommodée. Elle a demandé son aide à Mewen ; celui-ci est allé trouver le dragon, lui a entouré le cou avec son étole, l’a traîné comme un petit chien vers la Loire, dans laquelle il l’a précipité, le dragon « fut suffoqué ». J’en déduis que les dragons ne savent pas nager, ce qui peut être une information utile un jour. Je vais vite car tous les saints bretons font ça, on a même un mot dédié : « sauroctones ». Ça claque, ça vient du grec ancien : σαῦρος, « lézard », et κτόνος, « tueur ». La dame, très contente, lui donne toutes les terres qu’occupait le dragon. Si elle n’y tenait pas plus que ça, à ses terres, on se demande pourquoi elle a fait tuer le dragon, mais cela permet à saint Méen d’y bâtir un monastère, que la Légende nomme Monopalium ou Monopalm. Il y installe des moines de l’abbaye de Gaël et jusqu’à sa mort, il résidera tantôt dans l’une tantôt dans l’autre abbaye.
Avant sa mort, il nous reste à évoquer l’épisode Judicaël. Nous n’avons pratiquement pas d’information dans les texte de Dom Lobineau, de Dom Plaine, ni dans la Vita Meveni, probablement écrite par le moine Ingomar à l’abbaye de Saint-Méen vers 1084.
Vous pouvez vous reporter à mes vidéos sur saint Malo où cette histoire est racontée. Judicaël était l’héritier du trône de Domnonée, mais son frère Haeloc (encore lui) mal conseillé par un précepteur félon, s’était emparé du trône. Judicaël s’enfuit, trouve refuge auprès de saint Méen et prend l’habit de moine. Puis il retrouve son trône, est un roi exemplaire, il fait de nombreux dons au monastère de son bienfaiteur et fort du sentiment du devoir accompli, revient finir ses jours à l’abbaye de Gaël.
En juin 617, Mewen commence à se sentir faible, un ange l’avertit qu’effectivement il est temps qu’il se prépare à rejoindre son créateur. Alors Mewen appelle les moines et leur dit toute l’affection qu’il a pour eux, leur prodigue ses derniers conseils afin qu’ils pratiquent la charité et l’humilité dans l’amour de Dieu. Parmi les moines se trouvait Austol, présenté comme son neveu, ou son favori. Austol pleurait, il était effondré : « Comment pourrai-je vivre sans toi, mon cher maître ? J’aurais tant voulu que nous ne soyons jamais séparés ! La vie sera un si long calvaire sans toi ! » Saint Méen répond : « Ne t’afflige pas, mon fils, dans sept jour tu me suivras et viendras me rejoindre pour l’éternité. Prépare-toi, ton attente ne sera pas longue. » Austol n’en demandait pas tant, mais de fait il mourut sept jours plus tard.
Aussi, méfiez-vous des excès de lyrisme et de tristesse, au cas où votre mourant serait un saint breton qui vous exhausserait, on n’est jamais trop prudent.
Mewen meurt, on le met au tombeau. Austol meurt sept jours plus tard et les moines pensent répondre à leur vœu en déposant son corps dans le tombeau du saint. On soulève la pierre tombale et… miracle, le cadavre s’est écarté, délicatement couché sur le côté pour laisser une place à son cher disciple.
Dom Lobineau a vu le tombeau dit de saint Méen et il affirme que c’est strictement impossible car il n’y a pas assez de place pour deux. Je suis allée voir le sarcophage dans l’abbaye et bien que ce ne soit probablement pas celui du VIIe siècle, on peut supposer qu’il lui ressemble, et je dirai en conclusion que… à mon avis… bien amoureux, pourquoi pas !
Je vous laisse vous faire votre opinion quand vous visiterez cette belle abbaye de Saint-Méen-le-Grand et la source un peu à l’écart.
Sainte Anne a dû s’attarder en route, mais nous n’avons plus le temps de l’attendre, nous la retrouverons directement chez Patern à Vannes.
Kenavo everybody !
Texte de la Vidéo – Saint Méen 2/2
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