Saint Corentin 2/2 – Texte de la vidéo

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Salut, c’est Lize.
Je reprends le fil de l’histoire de saint Corentin parce que j’ai beaucoup digressé à la fin
de la vidéo précédente, je résume : Corentin serait né vers 375, à Locmaria, près de
Quimper. Il devient ermite dans le Ménez-Hom, il fait des miracles, dont le poisson qui se
régénère et la source de Primel. Nous avons dit que le roi Gradlon était impressionné par
le talent de Corentin et pour le féliciter, il lui donne des terres où construire un
monastère. Comme il lui fallait un évêque afin d’asseoir son autorité royale, il décide de
s’occuper hardiment de l’affaire.
Ce qui nous amène à un épisode essentiel dans la vie de notre saint : Gradlon l’envoie
avec Gwénolé et Tudy chez saint Martin de Tours.
Là encore, c’est limite pour les dates, mais il s’agit plutôt de comprendre l’intention du
moine rédacteur de la Vita, plus tard, au IXe siècle : saint Martin est archevêque de Tours
de 371 à 397. Dans les vidéos précédentes, nous avons plusieurs fois évoqué le « schisme
breton », schisme entre guillemets. Jusqu’en 848, on considère que les diocèses de Rennes,
Nantes et Vannes sont subordonnés à l’autorité de l’archevêque de Tours. Ils ont été peu
investis par les migrations bretonnes d’outre-Manche, Pays de Galles et Cornouailles
principalement. Tandis qu’à l’ouest de l’Armorique, les diocèses bretons en font
globalement à leur tête et (pour schématiser) laissent les Gallo de l’Est de la péninsule
traiter avec les Francs, Clovis and Co. Mais en 848, donc bien après l’époque qui concerne
nos saints du Tro Breiz, l’évêché de Dol, initialement celui de saint Samson, fait sécession
et s’érige en archevêché de Bretagne. On dit aussi en « métropole ». Ah, mais ça n’a pas
plu. Ils se sont bien chamaillés, chaque parti a fait preuve de ruse, de stratégie, de
recherche d’appuis politiques, jusqu’à ce que le pape Innocent III règle le conflit au profit
de l’archevêché de Tours en 1199. Pour la fin de l’histoire, sachez que depuis 1859, les
diocèses de Bretagne relèvent de l’archidiocèse de Rennes, créé à cette date. Pas sûr que
les Bretons de l’Ouest en soient ravis.
Vous comprenez donc que, dans la Vita de saint Corentin, quand on dit qu’il a été
consacré évêque par saint Martin de Tours, ce n’est pas anodin, pas anecdotique : il s’agit
d’affirmer que le diocèse de Quimper tire sa légitimité du métropolitain de Tours. Pas de
ces sécessionnistes irresponsables de Dol !
Mais après tout, pourquoi pas ? Si Corentin était Armoricain, s’il est vraiment né vers
375, il avait alors 22 ans à la mort de saint Martin, ça fait un jeune évêque, mais bon… et
s’il vivait avant la grande migration des Bretons, survenue au siècle suivant, ces derniers
n’avaient pas encore instauré leur contre-pouvoir ? Et donc les chrétiens de la pointe de
l’Armorique dépendaient bien de Tours, comme la ville de Vannes avec Patern ?
6/10Patatras, Dom Lobineau pense que Corentin vivait dans les années 500, ce qui flanque
tout par terre. Et d’ailleurs Dom Plaine en remet une couche en signalant que Gradlon, le
roi de Cornouailles bienfaiteur de Corentin, a été en relation avec Clovis et les Francs,
donc à la fin du Ve siècle et hop, lui aussi nous jette une bonne centaine d’années dans les
yeux.
Allez, on ne s’attarde pas, on repart sur la légende.
Donc… sur ordre du roi Gradlon, Corentin part en direction de Tours avec Gwénolé et
Tudy. Le roi laisse à Martin le soin de choisir lequel des trois doit être évêque. Martin se
décide pour Corentin et charge celui-ci de « bénir » les deux autres comme abbés de leurs
abbayes respectives à Landévennec et Loctudy. Là encore, c’est une façon d’affirmer
l’autorité de l’évêque sur les abbés, l’autorité de Rome sur les moines.
Je ne sais pas vous, mais moi je préférais les histoires de dragons, de sorcières et de
messes sur les dos de baleines !
Gradlon donne son château de Quimper à Corentin pour y ériger sa cathédrale, tandis
que lui-même part s’installer dans… la cité d’Ys. Je vais laisser sainte Anne qui ne devrait
plus tarder vous raconter la légende de la ville d’Ys, elle la connaît mieux que moi.
Et à la fin, Corentin meurt ! – C’est tout ? – C’est tout !
Après, on a des histoires de reliques expatriées à l’arrivée des Normands, un fémur qui
réapparaît et qui fait des miracles dont le premier est d’être en fait un os de bras, et la
ville de Quimper prend le nom de Quimper-Corentin.
Ah, voilà sainte Anne.
Lize. – Coucou, Anna, ça va ?
Anna. – Ça va. J’suis quand même ben contente d’êt’ rendue ! Et ta, ma fille, comment
qu’c’est ? Pas trop triste qu’ ce soit fini ?
Lize. – Un peu. C’était un beau voyage.
Anna. – C’est sûr. Est-ce que Corentin est dans le coin ?
Lize. – Oui, tu veux que j’aille le chercher ?
Anna. – J’veux ben. Merci, ma belle.
Lize. – Ah, est-ce que tu pourrais raconter la légende de la ville d’Ys en attendant ?
Anna. – A qui ?
Lize. – Aux gens qui sont là.
Anna. – Ah, ben, oui.
Lize. – A plus, Anna.
Anna. – Ah, attends un peu. Dis-moi, est-ce que tu voudrais bien me consacrer une
vidéo un de ces jours ? J’aimerais ben avoir ma petite vidéo, moi aussi.
7/10Lize. – Bien sûr, je vais me documenter et je te ferai ça.
Anna. – Merci, ma chérie, t’es trop mignonne.
Lize. – Tchao, tchao.
Anna. – Tchao, tchao.
Alors, la ville d’Ys.
Une bien belle histoire, un petit peu triste à la fin. Comme c’était une légende qu’on se
racontait à la veillée, il y a plein de versions. Je vous raconte celle qui a l’air de plaire le
plus. Le roi Gradlon, roi de Cornouaille en Armorique, était un fameux guerrier bien têtu.
Un jour il se mit en tête de conquérir des terres dans les pays du Nord, on ne sait pas trop
où, mais c’est loin, il y fait froid et très brumeux. Tout s’était bien passé, ils avaient pillé,
razzié, vidé les celliers, commis toutes sortes d’abus, quand ils arrivèrent devant un beau
château particulièrement fortifié. Pas facile à prendre, « l’ biau chatiau ». Au bout d’un
moment, les troupes commencèrent à râler : il n’y avait que de la glace et des brumes
autour, rien à piller, rien à manger, rien à boire, pas la moindre jouvencelle… avec tout le
respect qu’ils devaient à leur roi, ils commençaient à douter. Quelqu’un s’est dévoué pour
parler à Gradlon, dont tous savaient qu’il supportait mal qu’on s’oppose à ses décisions. Et
effectivement, quand le délégué lui a soumis la proposition de reprendre les bateaux et de
rentrer au chaud à la maison en Bretagne… « Eh ben, barrez-vous tous, bande de
poltrons, moi je reste. » Forts de l’autorisation de leur chef, les troupes ont vite
rembarqué, pensant qu’ils ne le reverraient jamais.
C’est alors qu’apparaît au pied des remparts une très belle jeune femme, ensorcelante,
blonde aux yeux clairs, Malgwen. Gradlon, tout bourru qu’il est, a le cœur qui bat plus
vite devant la belle dame ! Il veut la séduire, parle de son royaume, de son pouvoir, de ses
troupes. Il fait le beau ! Mais avec une grande douceur, elle lui suggère de ne pas trop la
ramener car elle a bien vu qu’ils sont tous partis en le laissant seul au pays des glaces. Elle
lui explique qu’elle est la reine de ce royaume et qu’elle attendait un homme courageux
qui la débarrasse de son vieux mari, un gros plein de soupe ivrogne qui roupille toute la
journée. Gradlon hésite. Quand même, comme ça, à froid ! Mais la dame est très belle et
elle lui promet que s’il accède à sa demande, elle partira avec lui et emportera toutes ses
richesses. Ah, ça, ça ne se refuse pas. Ils entrent par une porte dérobée, Gradlon tue le
vieux mari, et… mais voilà, comment repartir puisque tous les bateaux sont au loin ?
Malgwen n’est pas troublée, elle va chercher Morwarc’h (Morvark), son cheval qui file
plus vite que le vent et chevauche sur les flots. Et hop, pataclop, pataclop, pataclop sur les
vagues, ils rejoignent les marins de Gradlon. Je ne sais pas si Malgwen a glissé quelques
lingots dans ses poches car on ne parle plus des richesses.
8/10Gradlon et Malgwen sont très amoureux. Peu après, la reine est enceinte, elle donne
naissance à une adorable petite fille, Dahut, mais ne survit pas à l’accouchement.
Gradlon reste seul avec son enfant. Plus la petite grandit, plus elle ressemble à sa mère,
plus Gradlon aime passionnément sa fille.
Gradlon avait donné ses terres quimpéroises à Corentin et il s’était installé dans la ville
d’Ys. Ce nom signifie la Ville d’En-bas. Elle était située au ras de la mer et une haute
muraille l’abritait des vagues des marées hautes. La porte qui donnait accès au rivage ne
pouvait être ouverte que par une clé que Gradlon portait toujours sur lui. Ah, voilà
Corentin qui a entendu son nom…
Ça va, Corentin ?
Corentin. – Oui.
Anna. – C’est tout ? Tu sais que dans un monde civilisé, on ajouté « et toi ? »
Corentin. – Et toi ?
Anna. – Ça va, merci ! Je racontais la légende de la ville d’Ys.
Corentin. – Je sais.
Anna. – Tu as mal dormi ?
Corentin. – Non.
Anna. – T’as des vers ?
Corentin. – (fureur contenue) Je ne supporte pas cette histoire. Cette gamine qui faisait
la fête toutes les nuits, qui changeait d’amant toutes les nuits, était une insulte à l’image
de Notre Seigneur.
Anna. – Bah, c’était une adolescente livrée à elle-même. J’en ai vu quelques uns
profiter de l’absence de leurs parents pour organiser des fiestas d’enfer.
Corentin. – Tu as dit le mot !
Anna. – Simple expression. Et tu connais mon point de vue sur ton Enfer. Je préfère
mon Autre-Monde.
Corentin. – C’est bon, ne revenons pas là-dessus, tu veux ?
Anna. – Tu vas m’excommunier ?
Corentin. – Arrête, Anna, arrête ! Comment peux-tu défendre cette pécheresse qui a
volé à son père endormi la clé de la porte de la ville ? Une voleuse et une criminelle : c’est
à cause d’elle que les flots ont pénétré dans la ville et noyé la population. Elle n’a aucune
excuse.
Anna. – Seulement celle d’avoir été amoureuse, subjuguée par un homme qui a pris
plaisir à la détruire ; le seul qui lui a résisté l’a menée à sa perte. La passion peut parfois
conduire à commettre des actes que…
9/10Corentin. – Les faits sont les faits, Anna ! Ce que tu nommes « passion » n’est que désir
lubrique répugnant.
Anna. – Tu as bien de la chance, Corentin, de n’avoir jamais commis l’injustifiable.
Mais il n’est pas dans l’ordre du monde que tous puent le vieux bouc pour éloigner les
tentations.
Corentin soulève sa crosse et s’avance menaçant vers Anna.
Celle-ci éclate de rire. Corentin est vexé.
Corentin. – Quoi ?
Anna. – Mais Corentin, tout va bien ! Détends-toi ! Tu n’es pas obligé de te conformer à
ta légende ! Il fallait un évêque sévère et intransigeant pour raconter l’histoire de la Ville
d’Ys…
Corentin. – C’est pas moi!
Anna. – Ce n’est pas toi qui as poussé Dahut dans les flots, probablement…
Corentin. – C’est Gwénolé !
Anna. – Oui, oui, bien sûr. Mais il t’était subordonné, non ?
Corentin est embarrassé.
Corentin. – Ben… oui…
Anna. – Il faut assumer, mon garçon. Soit l’évêque domine l’abbé et tu es responsable
de ses actes, soit tu renonces à ta position hiérarchique !
Corentin se détend soudain et sourit sincèrement.
Corentin. – Tu es redoutable Anna ! Vieille sorcière !
Anna. – Ah, je te retrouve mon p’tit gars ! Je t’aime comme ça. Tu m’emmènes visiter
ta belle cathédrale ?
Corentin. – Avec plaisir.
Anna. – Mais avant, on va fêter nos retrouvailles. (Elle sort une bouteille de cidre de sa
besace et sert deux bolées) Un p’tit coup d’cit’ ? Yec’hed mat ?
Corentin. – Yec’hed mat, Anna, Yec’hed mat !



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