Dans la vidéo précédente, nous avons laissé Tugdual au moment où sa famille l’incitait à faire valider, par le roi franc Childebert, la possession des terres que des seigneurs bretons lui avaient données.
Un peu de contexte : à la mort de Clovis en 511, son royaume a été partagé entre ses héritiers.
Childebert reçoit le Royaume de Paris, dont dépend la Bretagne continentale. Les Bretons reconnaissent l’autorité des Francs, mais restent globalement maîtres chez eux et ne paient pas de tribut au roi franc. A la mort de son frère Clodomir qui détient le Royaume d’Orléans, Childebert décide de s’emparer de ses terres, et pour cela… il assassine ses neveux. Tugdual n’avait rien contre un peu de stratégie politique, mais là, tout de même ! Donc il ne tenait pas particulièrement à fréquenter ce Monsieur Childebert et encore moins à lui être redevable. Mais devant l’insistance familiale dès qu’il s’agissait de valeurs patrimoniales, il se soumit.
Pour ne pas y aller seul, il fit un détour par Angers où il rencontra Aubin, Saint Aubin, qui voulut bien l’accompagner et lui servir d’interprète auprès du roi. Aubin était gallo-romain mais il parlait aussi breton.
Au moment d’entrer dans Paris… il ressuscita un mort et délivra un grand seigneur de la paralysie générale qui l’affligeait depuis des années. Ces nouveaux miracles lui servant de sauf-conduit, Childebert confirma toutes les donations. Pourtant cela ne suffisait pas à « la Famille » car, alors qu’il s’apprêtait à repartir avec Aubin, des hommes du Trégor entrèrent inopinément dans le palais et demandèrent à Childebert de le nommer évêque de Tréguier. Ce qu’il fit.
Naïvement, Tugdual crut que si on l’honorait de ce titre, c’était pour récompenser les valeurs humaines et religieuses qu’il enseignait et pratiquait. Rentré chez lui, il redoubla donc de zèle pour prôner dans son diocèse les bonnes conduites, la piété, la discipline, la tempérance. Dieu l’y aida par quelques miracles spectaculaires : à cette époque, une épidémie de peste sévissait en Armorique. Pol de Léon eut la bonne idée d’unir leurs énergies dans une grande procession. Tugdual improvisa une prédication enflammée et ordonna à l’épidémie de cesser immédiatement… Ce qu’elle fit !
Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que ceux qui avaient vanté ses mérites tant qu’il prêchait de loin et ne se mêlait pas de leurs petites ou grandes turpitudes, ceux-là mêmes prirent très mal que Tugdual les sermonne avec le poids de sa nouvelle autorité épiscopale. On parla de persécution, de tyrannie, d’autocratie, on appela le peuple à se mutiner contre son « emprise ».
Peut-être Conomor n’était-il pas étranger aux rumeurs. Car la situation politique avait fortement évolué en Domnonée : son frère Hoël II mourut, son cousin Deroch mourut. Le fils de celui-ci, Iona lui succéda mais mourut (dans un accident de chasse ou assassiné, on ne sait pas). Son fils, Judual, était trop jeune pour régner. C’est alors que Conomor épousa la veuve de Iona et se proclama régent de Domnonée. Conomor était roi de l’autre côté de la Manche, en Cornouailles, sous le nom de Roi Marc, l’oncle de Tristan, le roi Marc aux oreilles de cheval, etc. La veuve d’Iona comprit rapidement quel homme dangereux était son nouveau mari et qu’il ne céderait jamais le pouvoir à Judual. Elle avait été témoin des méthodes des rois pour se débarrasser des héritiers encombrants, elle partit à la cour de Childebert et plaça son fils sous sa protection.
Bien… je récapitule : Hoël II est mort, Deroch est mort, Iona est mort, Judual est en exil, Conomor est un usurpateur… qui est-ce qui reste ? Qui représente la dynastie légitime ?
Tugdual ! Sa mère, Pompeïa-Coupaïa, étant la sœur de Riwal, par succession matrilinéaire, il devenait le chef de la famille royale de Domnonée.
Si quelqu’un s’avisait d’assassiner Conomor, il allait se retrouver roi. Roi-évêque ! Et sans aller jusque-là, il soupçonnait Conomor de planifier son élimination. Démuni devant tant de malveillance, il passa une nuit en oraison et demanda l’aide de Dieu. L’ange apparut, il dit : « Reste pas là, c’est tous des cons, dis-leur que tu vas voir le Pape-à-Rome, et barre-toi ! » Il devenait un peu vif dans ses propos, cet ange, mais il avait raison. Tugdual laissa les Trégorrois, la Famille et l’usurpateur se débrouiller avec les dragons, les aveugles, les paralytiques et les épidémies de peste, il prit son bâton et se mit en chemin !
En quittant le Val-Trégor, il commença par visiter les monastères fondés dans le sud de la Domnonée armoricaine, puis traversa la forêt de Brocéliande. Enfin, il arriva à Vannes. Là, un successeur de Patern, Macliau, lui trouva une cabane dans les bois où il se retira, enfin au calme. Deux ans de prière et de jeûne. Quel bonheur !
Pendant ce temps, ses paroissiens avaient pris au sérieux son subterfuge : ils le croyaient réellement « chez l’Pape-à-Rome ». Les voilà lancés dans des élucubrations fantastiques pour expliquer son absence : « alors qu’il arrivait au Vatican, le Pape était mort, les évêques s’étaient réunis en conclave pour nommer son successeur et justement une colombe blanche s’était posée sur la tête de Tugdual tandis qu’il priait. Ni une ni deux, il était devenu Pape, sous le nom de Leo V Britigenus, Léon le Breton ! »
Et comme « Pape » se dit « Pabu » en breton, vous comprenez à présent que les lieux en « Pabu » ou « Babu » lui sont consacrés, Land-Pabu, Tré-Pabu, Loc-Pabu, Ker-Pabu, Mouster-Pabu, tous les Pabu… et qu’on le représente parfois avec une tiare papale, quand on ne lui colle pas une colombe sur la tête !
OK… maintenant… il faut savoir que « Pabu » signifie aussi « Père » en breton et les chrétiens connaissent l’expression « mon père » pour s’adresser à un abbé, je vous laisse tirer vos propres conclusions… Mais reconnaissons que l’idée d’avoir eu un pape breton n’est pas pour nous déplaire.
Un jour, Macliau lui annonça que les Trégorrois vivaient dans une grande misère depuis son départ. La terre était stérile, elle ne produisait plus ni fruits ni céréales pour les gens, ni herbe pour les bêtes, les femmes n’avaient plus d’enfants, les animaux ne faisaient plus de petits, des milliers de familles mouraient de faim, puis une nouvelle épidémie de peste avait envahi le pays. Dieu leur avait retiré sa protection, à eux seulement, car les autres évêchés se portaient bien !
Alors, Tugdual se décida à rentrer à Tréguier. On l’accueillit avec ferveur. Après quelques processions et prières, la prospérité revint dans la région.
Il y vécut encore quelques années, jusqu’au jour où il rejoignit le Créateur, le 30 novembre 564. C’est le jour de sa fête dans le calendrier chrétien, en compagnie de Saint André. On ne sait pas pourquoi il n’a pas sa fête à lui… Pourtant il présente tous les signes extérieurs de sainteté : juste après sa mort, une odeur très agréable emplit le monastère et une harmonie céleste se fit entendre tandis que son âme s’élevait vers les cieux.
Et maintenant… les reliques !
Comme, depuis son tombeau, il continuait de faire des miracles, on préleva ses reliques et on les conserva dans la cathédrale. Je ne vous raconte qu’un seul de ses miracles posthumes, parce que ça devient lassant, à la fin.
Le jour de la Pentecôte 841, alors que les Bretons voulaient se recueillir sur ses reliques, ils montèrent en si grand nombre sur le bac qui mène au monastère que le bateau coula dans le Guindy et tout le monde se serait noyé si ceux qui étaient encore sur la rive n’avaient fait appel à Tugdual dans une grande prière et tous les pèlerins sortirent de l’eau et accédèrent à la terre ferme. A part un jeune garçon, dont on retrouva le corps sur la vase quand la mer se retira. Lors de la messe d’enterrement, les parents le tinrent pour responsable et commencèrent à se plaindre, arguant que c’était Tugdual qui avait tué leur fils et que « s’il ne lui redonnait pas la vie, ils ne remettraient jamais les pieds dans l’église et dissuaderaient les autres d’y venir. » Tugdual faillit les envoyer promener, c’était quoi ce chantage à la noix ? Mais le prêtre, un brave homme, témoin de leur douleur, prit les saintes reliques, fit un signe de croix sur la bouche du gamin et celui-ci recracha beaucoup d’eau, se redressa en pleine forme, remercia Dieu de lui avoir rendu la vie et repartit avec ses parents.
Accordons-nous une petite pause, je vous raconte tout de suite son entrevue avec Sainte Anne, qui arrive, toute essoufflée.
Tugdual. – Salut Anna, comment ça va ?
Anna. – Salut, mon p’tit gars. T’aurais pas un coup d’cid’ ? Je meurs de soif.
Tugdual. – Désolé, je n’ai pas de cidre, j’ai de l’eau du puits si tu veux.
Anna. – Elle est saine, ton eau, tu l’as fait analyser ?
Tugdual. – Ben, non !
Anna. – Bon, tant pis, c’est pas raisonnable mais j’ai trop soif. J’espère que j’vais pas attraper la diarrhée.
Tugdual. – J’en bois tous les jours et je ne suis pas malade.
Anna. – Mouais, mais toi t’es immunisé. Moi, je m’incarne pas tous les jours.
Tugdual. – Tiens.
Anna. – Merci, mon gars. Yec’hed mat. (elle boit et pousse un soupir de soulagement) Ah ! Je suis benaise ! Alors, comment qu’c’est, mon Pabu ?
Tugdual. – Ça va, comme tu vois. Et toi, tu te promènes ?
Anna. – Je fais un Tro-Breizh.
Tugdual. – C’est quoi ? Un tour de Bretagne ?
Anna. – Le tour des évêchés des saints fondateurs de la Bretagne.
Tugdual. – Cool !
Anna. – Il y en a sept et tu en fais partie, ici à Tréguier.
Tugdual. – Ah, c’est ça, tous ces gens en short avec des bâtons ! Ce sont des pèlerins ? Ils ne prient pas beaucoup, je trouve !
Anna. – Bah, ils aiment ben marcher, ils discutent, ils rigolent, ça leur vide la tête, c’est sympa. Y’a pas qu’la prière dans la vie. Bon, mon p’tit gars, j’m’en vas t’laisseu, je vais voir le vieux Brieuc.
Tugdual. – Tu lui feras la bise pour moi !
Anna. – Vous vous faites des bisous entre saints bretons ?
Tugdual. – Bah, au XXIe siècle tout le monde s’embrasse.
Anna. – Mouais. Ils se sont calmés depuis leur grande épidémie. Allez, Kenavo.
Tugdual. – Kenavo Mamm-gozh ! A plus, Anna.
Anna. – Pokoù !
Tugdual. – C’est ça, bisous !
Sainte Anne, c’est la Patronne ! Tout le monde l’aime bien, Anna ! Ils font les malins, les gars avec leurs miracles, mais quand elle dit quelque chose, tout le monde obéit ! Sinon, gare !
Nous en étions aux reliques de Tugdual.
Quand les Vikings saccagèrent les côtes bretonnes, on les dispersa, certaines dont son crâne furent conservées à Chartres, d’autres à Laval. On dit qu’à Chartres, les femmes enceintes venaient demander une heureuse délivrance. Je précise à toutes celles qui tendent l’oreille, que Tugdual n’agit que sur l’accouchement. Pour la conception, c’est le domaine de Notre-Dame, sinon il vous reste les menhirs : frottez-vous le ventre contre les pierres levées !
Mais à la révolution tout fut détruit ou presque. Le peu qui avait été préservé revint dans la cathédrale de Tréguier. Aujourd’hui, si besoin d’un miracle, il y a un os de bras.
Alors, passez donc un jour par Tréguier saluer Tugdual, jetez un coup d’œil à la stalle où on le voit coiffé comme un pape terrasser le dragon, improvisez une petite prière devant son morceau de bras, ça lui fera plaisir, et rappelez-vous : il sait arrêter les épidémies… de peste ou autres.
Allez, Kenavo, Pokoù !
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