Salut, c’est Lize.
La dernière fois, je vous ai quittés alors que Samson de Dol rentrait avec son père, son oncle et un diacre, au monastère d’Ynys Pyr où ils ont été accueillis par l’abbé Pyron et l’évêque Dubric.
Le diacre ayant raconté comment Samson avait terrassé le dragon et la théomaque (une sorte de sorcière si on veut), Dubric décida de le nommer cellérier (gestionnaire du cellier contenant les provisions de nourriture et de boissons). Pourquoi est-ce Dubric qui nommait le cellérier du monastère et non Pyron, l’abbé, le chef… peut-être que Pyron n’était pas le plus fiable quand il s’agissait du cellier, comme nous le verrons. Samson était donc chargé de répartir équitablement les denrées du monastère. Il en a profité pour distribuer à manger aux pauvres. Mais l’ancien cellérier était jaloux et il l’a accusé auprès de Dubric de dilapider les bocaux de miel ! Ah, ça c’est une sévère accusation qui mérite au moins l’excommunication ! Et encore une fois, pourquoi était-ce Dubric qui jouait les juges de paix ? Dubric lui envoie un gamin pour lui dire de l’attendre au cellier, Samson rentre dans l’esprit du petit, comprend de quoi il retourne, hop, un signe de croix sur les bocaux, les voilà pleins à ras-bord ! Dubric, quand il est arrivé, était épaté ! Il s’est dit qu’un homme capable de remplir des pots de miel par la seule force de son esprit méritait une charge plus élevée.
Et, voyez les hasards de la vie, c’est le moment où l’abbé Pyron, complètement bourré, retourne à sa cellule, tombe la tête la première dans le puits… et meurt ! L’abbé Pyron buvait en cachette ! Ou plus exactement, il n’y avait que Samson qui ne le savait pas. Il paraît que Guibert de Nogent s’est indigné qu’on qualifie de saint un homme aux mœurs si dissolues. Mais Guibert ferait mieux de ne pas se mêler des affaires des Gallois, Pyron reste pour eux saint Pyr ou saint Pyro, et c’est comme ça ! En tout cas, voilà notre Samson nommé abbé du monastère d’Ynys Pyr.
Ça ne s’est pas très bien passé parce que, comme précédemment, on lui a reproché d’instaurer une règle de vie trop austère. Alors, il ne fallait pas le mettre à la tête du monastère. Les moines voulaient profiter de ses miracles, de la multiplication des pots de miel, mais pas se soumettre à un mode de vie plus vertueux.
C’est alors, la vie est bien faite… que des moines irlandais qui revenaient de Rome ont passé quelques jours à Ynys Pyr. Samson a discuté avec eux, et d’après ce qu’ils lui ont raconté, leur règle monastique correspondait pile ce qu’il recherchait. Il a laissé les moines d’Ynys-Pyr et a suivi les Irlandais sur leur île, au monastère de Dun Etair. Comme ils étaient sympa, il les a délivrés des démons, il a rendu la vue aux aveugles, guéri les lépreux, etc. On le vénérait comme un ange de Dieu.
Mais Samson était toujours abbé d’Ynys-Pyr, il lui fallait rentrer au Pays de Galles. Ce fut l’occasion d’un dernier miracle pour la route. Je vous le fait court, sinon on n’arrivera jamais en Bretagne.
Alors qu’il était près du rivage irlandais et que le bateau était prêt, surgit un moine très stressé qui lui explique que le diable s’est emparé de leur abbé, qu’ils ont ligoté ce dernier et qu’ils comptent sur Samson pour le délivrer. La Vita raconte que cet abbé l’a accueilli avec une sorte de charabia élogieux, mais moi, je vous dis ce que Samson m’a révélé en confidence : le diable, dans le corps du possédé, quand il a vu notre saint, a dit des horreurs, des insanités et des menaces ordurières que je ne répéterai pas. Tous ceux qui ont vu le film l’Exorciste savent qu’un démon ne dit pas « Voici celui que j’ai toujours cherché jusqu’à aujourd’hui, voici celui que j’ai toujours attendu, voici celui contre lequel je ne peux pas résister. »
Comme d’habitude : prières, signes de croix, aspersion d’eau bénite, l’abbé irlandais a retrouvé la raison. Tout content d’être débarrassé de son coloc encombrant, il a décidé d’abandonner son monastère pour suivre Samson. Il lui en a fait don, ainsi que de toutes ses ressources, Samson a accepté.
En partant, il a promis aux moines de leur envoyer bientôt un autre abbé. En arrivant à Ynys-Pyr, il a chargé Umbraphel, son oncle, d’aller diriger le monastère irlandais et d’en gérer les revenus. Autant que ça reste dans la famille.
Les moines d’Ynys-Pyr auraient voulu le garder mais Samson voyait bien qu’ils n’avaient pas changé et restaient ingérables dès qu’il s’agissait de la bouffe et de la picole ! Il a dit à son père, à l’ex-abbé irlandais et à un autre moine de le suivre pour vivre dans le silence et l’amour de Dieu. Ils ont trouvé un coin tranquille près de la Severn, avec une source où ils ont construit un petit ermitage. Mais cela ne satisfaisait toujours pas Samson, il voulait encore plus de solitude. Il a fini pas trouver une caverne spacieuse, avec une belle ouverture orientée à l’Est. Ses compagnons lui apportaient un pain chaque mois, il ne lui manquait que de l’eau. Il a planté son bâton dans la terre et une source a jailli.
Il croyait être enfin définitivement retiré du monde, mais des dignitaires ecclésiastiques l’ont fait chercher, il s’est retrouvé dans un synode, une assemblée, où la décision de le nommer évêque a été confortée par l’apparition d’un ange dans un rêve de Dubric, pratique courante pour faire connaître la volonté de Dieu. La colombe est apparue également pendant la messe de consécration et le voilà évêque, sans évêché. Évêque itinérant. Voyageur de Dieu.
Une nuit, la veille de Pâques, un ange lui annonce en songe qu’il doit se préparer à accomplir la volonté de Dieu. Il était flatté que Dieu prenne la peine de se pencher sur son avenir, donc quand l’ange lui a dit qu’il devait quitter son pays pour se rendre outre-mer où un grand destin l’attendait, il a été tout de suite d’accord. Cet ange savait décidément lui parler !
Le voilà donc reparti aussitôt après la messe du dimanche de Pâques, en compagnie des mêmes : son père, l’ex-abbé irlandais et un autre moine qu’il n’est pas besoin de mieux définir puisqu’il n’apporte rien à l’histoire.
En chemin vers le sud, Samson fait une halte chez sa mère et sa tante. Il consacre les églises qu’elles avaient fait construire, il bénit tout le monde, à part sa petite sœur qui s’envoyait en l’air avec son amoureux, sans respect de l’humble chasteté imposée par l’Église aux femmes. Il reste le temps de guérir des gens des maladies du corps et de l’âme et ils repartent vers le Cornwall, la Cornouailles britannique, dans l’intention de traverser la Manche.
J’ai oublié de préciser qu’ils voyageaient avec une carriole tirée par deux chevaux, que Samson avait ramenée d’Irlande, celle-ci contenait un autel portatif, des vases et des livres sacrés. Le kit complet du moine itinérant.
Avant d’embarquer, il lui restait à accomplir un miracle important : ils se trouvaient dans le Triggshire, quand en marchant, ils ont entendu à leur gauche, le bruit d’une fête païenne que les paysans célébraient selon leur habitude avec force beuveries, orgies et courses de chevaux. Des courses de chevaux ! Samson ne pouvait pas rester sans rien faire. Il s’approche, et il voit tout un village en train de danser autour d’une idole, une pierre levée, un menhir ! Il commence à parler gentiment à ces gens, leur expliquant qu’ils pratiquent un culte démoniaque… certains rient, d’autres ripostent qu’ils ne voient pas ce qu’il y a de mal à honorer les pratiques de leurs ancêtres, certains lui conseillent de passer son chemin, quand… Dieu veille à tout, un jeune cavalier qui participait à une course de chevaux, tombe à terre, mort ou presque. Tout le monde est sous le choc, la fête est finie, beaucoup sont en pleurs. Alors… Tatatahhh… Samson prend la parole, il dit : « Vous voyez que vos idoles sont incapables de vous secourir en cas de drame ; si vous me promettez de détruire ce sanctuaire et de n’adorer que mon Dieu, je redonnerai la vie à ce cavalier. ». Ça fait un peu marchandage ou chantage, mais on n’a pas le choix pour convertir des païens ! Donc, prière, signe de croix et eau bénite, il ressuscite le garçon. Il leur dit que, puisqu’on ne peut pas facilement se débarrasser du menhir, ils doivent graver une croix dessus. Tous s’empressent de le remercier et lui promettent de rester fidèles à son Dieu. Y compris le seigneur de la région, qui en profite pour lui demander s’il ne pourrait pas, s’il a encore un peu de temps, débarrasser le pays d’un méchant dragon, venimeux et infect, qui leur gâche la vie. Samson, les dragons, il aime ça ! Plus ils sont venimeux et infects, plus il a hâte de les rencontrer ! Il se renseigne sur les habitudes de la bête, on lui dit qu’il vit dans une caverne inaccessible. Parfait, il embarque le jeune cavalier ressuscité avec lui pour lui montrer le chemin et « on they go » !.
Arrivés à destination, il dit au jeune de l’attendre, qu’il n’en a pas pour longtemps et il entre dans la caverne. Le dragon, qui croit à une intrusion banale, se met à cracher du feu, mais Samson le regarde bien en face et devant son air déterminé le monstre se met à trembler, il se tourne vers sa queue pour la ronger avec rage. Oui, c’est typique des dragons britanniques : confrontés à un saint, ils se rongent la queue avec rage. Alors, Samson prend sa ceinture, la jette autour du cou du serpent et le traîne ainsi jusqu’à une falaise escarpée, où il lui ordonne de se jeter dans les flots et de mourir sur le champ. On sait que Pol de Léon a fait la même chose avec son étole, mais Samson tient à vous rappeler que c’est sa Vita qui fait référence comme modèle des autres et qu’ils ont tous copié sur lui. C’est pas grave, mais il y tient !
La population a voulu le nommer évêque, mais il l’était déjà et l’Armorique l’attendait.
Il a juste demandé aux moines qui l’accompagnaient de rester dans ce pays et de construire un monastère dont il a confié la direction à son père, Amon. Autant que ça reste dans la famille.
Il est parti avec quelques moines, ils ont atteint un port cornouaillais et embarqué pour la Bretagne armoricaine. Nous sommes en 548.
Après une heureuse traversée, en bateau… je ne sais pas qui a imaginé la légende selon laquelle il avait traversé la Manche dans une barque en granit… ni pourquoi il se serait embêté à naviguer sur un truc pareil. Mais au moins, ça fait de belles photos devant la cathédrale de Dol… En tout cas, ils débarquent sur la côte nord de l’Armorique, dans la baie du Mont-Saint-Michel, près de l’embouchure du Guyoult au port de Winiau, aujourd’hui nommé Le Vivier-sur-Mer. Très vite ils rencontrent un laïque, en latin le simple particulier se dit « privatus », par la suite on a écrit… et dit qu’ils avaient rencontré un homme nommé Privatus. Celui-ci était en pleurs devant une cabane, il regardait sans cesse vers la mer. Samson lui a demandé ce qui lui causait tant de peine. Il a répondu qu’il attendait depuis trois jours et trois nuits la venue de son bienfaiteur car Dieu lui avait promis qu’il arriverait d’outre-mer. Samson a demandé ce qu’il attendait de ce bienfaiteur. Alors il a dit que sa femme était lépreuse et sa fille possédée du démon. Elles attendaient dans la cabane celui qui les sauverait. Samson est entré, il a prié et les a guéries toutes les deux.
Après Samson et les trois autres moines se sont avancés dans les terres et ils se sont installés dans un endroit aujourd’hui nommé Dol. Là, il a encore multiplié les miracles et fondé des monastères puisque c’était la volonté de Dieu et un excellent moyen de convertir les populations.
Il avait de la sympathie pour ces gens qui honoraient leurs dieux païens, à condition qu’ils les abandonnent. Et comme il se déplaçait de village en village, les habitants lui parlaient. Il a remarqué que souvent, dans la discussion, ils montraient de la tristesse. Il leur en a demandé la raison. C’est ainsi qu’il a appris l’affaire Conomor.
Je vous ai déjà parlé de ce prince dans la première vidéo sur Pol de Léon, c’est lui qui lui avait refusé une petite cloche, et dans la deuxième vidéo sur Tugdual. Conomor possédait un royaume en Cornouailles de l’autre côté de la Manche, où il était connu sous le nom de Roi Marc. Le roi Marc de la légende de Tristan et Yseult, le roi aux oreilles de cheval. Un personnage très méchant. En Bretagne armoricaine, il avait tué le roi légitime, Iona, épousé sa veuve, et se prétendait régent du royaume de Domnonée puisque le fils de Iona, Judual, était trop jeune. Mais la veuve avait compris quel homme était son deuxième mari et pour protéger son fils, l’avait envoyé à Paris, chez le roi Childebert. Celui-ci gardait l’enfant devenu adolescent ce qui satisfaisait Conomor : ainsi il régnait tranquillement sur la Domnonée. Childebert avait un intérêt politique dans l’histoire, il prétendait intégrer la Bretagne continentale à son royaume mais n’avait pas les moyens d’en assurer la défense contre les envahisseurs : Conomor reconnaissait Childebert pour roi et se chargeait de la défense armée de la région. Donc Childebert n’était pas franchement enclin à restaurer Judual sur son trône.
Mais Samson avait la ferme intention de lui faire changer de point de vue. Par souci de justice, par bienveillance envers la population qui réclamait son jeune roi légitime, et par esprit de famille car Judual était le descendant de Riwal, des deux Hoël, de Denoch, de Iona, toute une lignée de rois gallois. Pour mémoire, Amon et Anne, les parents de Samson, appartenaient à une famille intime des rois de Dyfed et Gwent, au Pays de Galles. La Domnonée devait revenir à Judual, Samson expulserait l’usurpateur cornouaillais, dût-il demander l’intervention de Dieu.
Comment il s’y est pris auprès de Childebert ? Je vous le raconterai dans le prochain épisode.
A bientôt, Kenavo.
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