Texte de la vidéo – Saint Brieuc 2/2

Salut, je suis Lize Kergonan, aujourd’hui je vous raconte la suite de la vie de Saint Brieuc.
Dans la vidéo précédente, nous avons laissé Brieuc après son installation au Champ du Rouvre, chez son cousin le roi Riwal. Je vous ai annoncé que je vous raconterais pourquoi on représente souvent un ou des loups à ses pieds.

Un soir, alors qu’il avait déjà plus de quatre-vingts ans, il revenait avec quelques-uns de ses frères au Champ du Rouvre. Comme ses jambes ne lui permettaient plus de marcher, il était porté dans un chariot traîné par des bœufs. Ils avançaient en chantant joyeusement des psaumes, et les voix des moines alternaient avec celle de Brieuc.
Soudain les chants s’arrêtent. Brieuc répète son verset, pas de réponse, et il voit tous les moines s’enfuir dans l’obscurité de la forêt. Il est seul, il regarde autour de lui et il voit des yeux brillants, des gueules ouvertes prêtes à le déchiqueter. Des loups ! Il descend péniblement de son attelage et s’avance vers la meute, la canne dans une main, l’autre main levée vers les loups. Ils le regardent, et s’agenouillent. La nuit est tombée, les moines reviennent et s’émerveillent. Il est trop tard pour poursuivre leur chemin. Ils s’installent pour dormir, les loups les entourent, les réchauffent et les protègent.
Au petit matin, une bande de guerriers arrivant de Bretagne insulaire, survivants d’une armée vaincue par les Saxons, débarque sur le rivage d’Armorique et cherche refuge dans la forêt. Leur chef, Conan, entre dans la clairière où dorment les moines et découvre la scène : un vieil homme, à barbe blanche, et des loups qui le regardent comme un chien regarde son maître.
Conan et sa troupe étaient païens. Devant ce prodige, ils s’avisent que le Dieu de Brieuc est plus fort que tous les leurs réunis ! Ils s’agenouillent derrière les loups, et Conan crie : « Nous voulons le même dieu que toi. Tu dois nous baptiser. » Alors, Brieuc fait signe aux loups qu’ils peuvent se retirer en paix, il conduit Conan et sa troupe au Champ du Rouvre et les fait jeûner pendant sept jours. Pendant ce temps, il leur enseigne la Parole de Notre Seigneur. Le huitième jour, il les baptise. Je ne sais pas pourquoi, à chaque fois que j’emploie l’expression « il les fit jeûner », ça me rappelle ma grand-mère qui mettait les escargots à jeûner dans une grande boîte grillagée, en les nourrissant de farine jusqu’à ce qu’ils fassent des crottes toutes blanches, pour ensuite les préparer avec du beurre à l’ail !

La vie a suivi son cours au Champ du Rouvre. La situation politique se compliquait petit à petit : Brieuc était arrivé avec les moines sur les côtes d’Armorique après la chute de l’Empire romain. Donc les troupes romaines n’étaient plus là pour défendre les côtes. Tout était à construire : défricher la forêt, cultiver des champs, dégager des prairies, bâtir un monastère. La population indigène était raréfiée, ils parlaient des langues apparentées, l’intégration des arrivants s’est passée sans heurts. Et le mode administratif importé de Bretagne insulaire ne nécessitait pas un pouvoir central fort. Les chefs locaux assistés de l’autorité religieuse des abbés géraient leurs territoires avec une fermeté suffisante pour la bonne marche des royaumes. Formé par son maître, Germain d’Auxerre, qui avait été haut fonctionnaire de plusieurs provinces de l’Empire et, devenu évêque, s’était avéré un grand défenseur de l’Église romaine, Brieuc consacra son énergie à concilier les vertus gallo-romaines avec les traditions celtes.
Cependant, des alertes se précisaient : les Francs cherchaient à s’approprier l’Armorique.
Un peu de pédagogie historique ? ☺
Après la chute de l’Empire, la partie de la Gaule globalement située entre la Loire et la Somme, était dirigée par Syagrius, considéré comme successeur des Romains. Les chefs bretons d’Armorique entretenaient de bonnes relations avec lui. Mais les Francs lorgnaient sur ses possessions. Dès 481 le conflit se précisa entre Clovis et Syagrius. En 486, à la bataille de Soisson, c’est Clovis qui fut vainqueur. Il se déclara maître du royaume. Et par la même occasion, il considéra que l’Armorique lui était soumise également. Ce qui ne convenait pas aux Bretons ! En 497, après une longue guerre, les tensions s’apaisèrent, un traité avec les cités armoricaines stipule que celles-ci reconnaissent la suprématie des Francs, combattront sous les ordres de leur chef mais ne paieront pas de tribut.
Il se faisait tard… Clovis s’était converti au christianisme, mais les stratégies politiques prenaient le pas sur la foi telle que Brieuc voulait la vivre, on exigeait à présent des abbés-évêques qu’ils obéissent aux ordres de Rome. Bien que disciple de Germain, Brieuc restait Breton, et n’entendait pas se laisser diriger par un Franc converti par calcul. Les abbés celtes s’étaient vaillamment battus pour convaincre les païens d’adopter une religion de lumière, ils avaient tout aussi vaillamment secondé et conseillé les chefs de leurs peuples, à présent l’évêque de Tours et le roi des Francs leur cherchaient chicane pour des détails liturgiques… Au fil du temps, ils avaient peut-être intégré trop de fêtes et de pratiques païennes, mais quel mal cela faisait-il à Dieu que des jeunes femmes se frottent le ventre contre des menhirs pour concevoir des petits chrétiens ? Peut-être avaient-ils trop bien réussi, certains voulaient utiliser la confiance qu’ils inspiraient au peuple pour l’orienter dans le sens qui convenait aux Francs.
En outre, plus il vieillissait, plus Brieuc avait des doutes quant à l’hérésie de Pélage. L’intransigeance de Saint Paul et de Saint Augustin lui semblait hors de mesure. Pouvait-on vraiment vouer un nourrisson aux flammes éternelles s’il mourait avant le baptême ? Il avait vu et avait été émerveillé par l’innocence des tout petits, n’était-ce pas pure méchanceté que de les condamner ? Par idéologie ! Pour les siècles des siècles ! Il avait peur de perdre la foi en Jésus-Christ, dieu d’amour et de charité… Il avait plus de quatre-vingt-dix ans, mieux valait quitter cette existence avant de devenir hérétique lui-même ☺.
Son cousin, ami et roi, Riwal mourut. Brieuc apaisa son passage tandis qu’il rejoignait le Créateur, et avertit la communauté des moines que sa propre mort approchait.
Pour agrémenter vos voyages touristiques, il me reste à vous raconter le songe d’un des moines. Je vous ai déjà parlé de la chapelle de Notre-Dame de la Fontaine dans la ville de Saint-Brieuc. Dans l’oratoire qui est consacré à Brieuc la grande verrière évoque la vision du moine Marcan pendant son sommeil. Il le vit gravir une échelle mystique vers le ciel tandis que les anges du Seigneur lui faisaient escorte en chantant ses louanges.
Et je ne pourrais pas finir sans évoquer les reliques !
Vous en trouverez dans la cathédrale. Bien sûr, le saint squelette avait été déplacé et dispersé au moment des raids vikings sur les côtes. Or un évêque de Saint-Brieuc décida d’en redemander quelques-unes à l’abbaye de Saint-Serge près d’Angers. Ce qui fut négocié. A « leur » retour dans la cathédrale, on dit que les porteurs de la châsse contenant les précieux restes sentirent des mouvements qu’ils interprétèrent comme la joie qu’éprouvait la vieille carcasse à revenir chez elle ! J’avoue que l’idée du vieux squelette frétillant comme de frais gardons sur les épaules de ces pieuses personnes me réjouit à chaque fois.
Ah, mais voilà Sainte Anne !

Brieuc. – Anna, ma toute belle, viens t’asseoir au soleil près de moi.
Anna. – Ah, Brieuc, comment vas-tu, vieux compère ?
Brieuc. – Comme tu vois, un peu lent mais en forme. Et toi ?
Anna. – Ben, moi, j’ai commencé un Tro-Breizh. J’ai déjà vu Pol et Tugdual.
Brieuc. – Alors ?
Anna. – Ça va ! Dis-moi, mon Brieuc, je voulais te parler, il faut que tu m’expliques un truc.
Brieuc. – Bien sûr ! Avec plaisir. Qu’est-ce que c’est ?
Anna. – Le pélagianisme !
Brieuc. – (il éclate de rire) Ah, oui, quand même ! Directement la théologie.
Anna. – Bah, j’aime ben la théologie, moi. Avec un coup d’cit’ ?
Brieuc. – Je ne crois pas avoir de cidre, mais j’ai un bon petit vin… de messe.
Anna. – Tu crois ?
Brieuc. – Tant qu’il n’est pas consacré pendant la messe, ce n’est que du vin.
Anna. – Alors, j’veux ben un p’tit verre, avant qu’tu m’parles de Pélage. (Brieuc se lève difficilement et va chercher deux verres de vin. Anna le regarde se déplacer et se moque gentiment.) Heureusement que tu n’as plus besoin de grimper à l’échelle des cieux !
Brieuc. – (il lui tend un verre et s’assied avec lenteur) A notre santé… éternelle !
(Ils trinquent et pouffent comme des collégiens. Anna sort une longue pipe de son baluchon, l’allume et fume.)

Anna. – Je t’écoute. Depuis le temps que j’entends parler d’hérésie, j’voudrais savoir.
Brieuc. – D’accord. Pélage était un moine né en Bretagne insulaire, vers 350. Bien avant moi. A ce moment-là, le dogme n’était pas encore fixé. Certains chrétiens par exemple réfutaient la Sainte Trinité, ils affirmaient que seul Dieu était éternel. Si on admettait que Dieu le Père avait créé Jésus et l’Esprit saint, Jésus n’avait donc pas toujours existé. En conséquence, l’un était éternel, l’autre pas. Et donc Jésus-Christ n’était pas de même substance que le Père. C’était l’arianisme, le christianisme des barbares germains. Cette doctrine a été déclarée hérétique par le Concile de Nicée.
Anna. – D’accord. C’est intéressant. Mais pratiquement, dans la vie, je ne vois pas bien ce que ça change.
Brieuc. – Alors, justement : Pélage, lui, ce qui l’intéressait, c’était la morale, la liberté de l’être humain, le libre arbitre par rapport à la Grâce divine. Est-ce que l’Homme pouvait parvenir au salut s’il se comportait bien ? Quand il est arrivé à Rome, il a été frappé par les mœurs relâchées des chrétiens : forcément, si on suivait à la lettre les écrits de Saint Paul de Tarse, soit on avait la Grâce et on était sauvé, soit on ne l’avait pas et on était condamné, indépendamment de ses actions, bonnes ou mauvaises. Donc, les Romains se disaient : « autant s’amuser et s’en donner à cœur joie puisque ça ne change rien ! »
Anna. – Ça se tient !
Brieuc. – Pélage a réagi en affirmant que bien évidemment quelqu’un qui se comportait mal n’atteindrait pas le salut et qu’il était de la responsabilité de chacun de choisir le sens de sa vie ; la Grâce de Dieu était un cadeau en plus, un facilitateur de choix !
Anna. – Et alors ?
Brieuc. – Et alors, ça remettait en question le rôle de l’Église : si on pouvait se passer du baptême et des sacrements pour atteindre le salut, on pouvait aussi se passer des évêques et de tout le clergé. Saint Augustin d’Hippone, s’est violemment opposé aux idées de Pélage. Il a sorti le concept de Péché originel. C’est lui qui a inventé l’expression. Adam, en mangeant le fruit défendu (sous entendu, en commettant le péché de chair) avait commis une faute qui l’avait rendu mortel et se répercutait sur toute sa descendance. Seul le baptême chrétien pouvait efface cette tache originelle. « Pas du tout » a rétorqué Pélage, Adam avait été créé mortel dès le début, péché ou pas, fruit défendu ou pas, de toute façon, il serait mort. Et sa faute n’avait puni que lui. Ses descendants n’avaient nul besoin du baptême pour laver une prétendue tendance au mal, et il n’y avait aucune urgence à baptiser les nourrissons. Pélage affirmait que l’être humain avait toute faculté à faire le bien, il lui suffisait de le vouloir.
Anna. – Mouais ! Si c’était si simple… Et toi, qu’est-ce que tu en penses ?
Brieuc. – Bah, plus de quinze siècles à l’état de reliques ont tempéré mon point de vue. Je pense comme toi que ce n’est pas si simple. Pélage avait une morale austère sans compassion pour les faiblesses humaines et Augustin a tellement poussé son raisonnement sur la Grâce divine qu’il a défendu une doctrine de la prédestination qui ne laissait aucune liberté aux humains. Ce qui lui a valu d’être désavoué par l’Église.
Anna. – Tu ne trouves pas ça inquiétant ?
Brieuc. – Quoi ?
Anna. – Bah, à quel moment précis on décrète qu’un saint Père de l’Église commence à yoyoter ?
Brieuc. – Mais que tu es bête, ma pauvre Anna, et dire qu’on a fait de toi une sainte !
Anna. – Pas seulement : je suis officiellement Mère de la Mère de Dieu ! Grand-mère de Dieu, ça claque ! ☺ Allez, merci mon Brieuc, merci pour la théologie et le verre de vin. Contente d’avoir discuté avec toi.
Brieuc. – Tu vas où ?
Anna. – Visiter la cathédrale de Saint-Malo. Pokoù !
Brieuc. – Bisous, Nanne ! Kenavo a distro.

C’est fini pour aujourd’hui. La prochaine fois, je vous raconterai la vie de Saint Malo.
A bientôt ! Kenavo !


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