Texte de la vidéo – Saint Malo 2/2

Bonjour, je suis Lize Kergonan, aujourd’hui je vous raconte la suite de la vie de saint Malo d’Aleth.
A la fin de la vidéo précédente, Malo quittait le Pays de Galles et traversait la Manche avec quelques moines.
Ils ont accosté sur l’Île d’Aaron en Domnonée, au Nord de l’Armorique. C’est aujourd’hui la ville de Saint-Malo. Aaron était un vieux moine solitaire qui s’est réjoui d’accueillir la relève. Il a dit qu’il n’y avait pas grand-chose à faire sur son île et qu’il s’en chargeait. Il a conseillé à Malo d’aller enseigner les Evangiles aux païens d’Aleth (aujourd’hui Saint-Servan). Malo a été tout de suite d’accord. Il était impatient de convertir des païens bretons. Il adorait ça. Il a quitté Aaron et a fait la traversée jusqu’à Aleth, la veille de Pâques en 578. Pour ceux qui connaissent la région, il est clair qu’il ne se lançait pas dans une navigation à la Brendan. C’est juste en face, à l’embouchure de la Rance. Dès le lendemain, il a dit la messe dans l’église Saint-Pierre, avec un beau prêche bien convainquant. Tant de monde est venu l’écouter qu’il a terminé en plein air. Voilà que passe un convoi funèbre qui portait un mort au cimetière. Ils se sont arrêtés pour l’écouter, alors il s’est approché, et… ? Bien sûr qu’il l’a ressuscité ! Il a fait encore mieux : il lui a présenté de l’eau dans un vase de marbre qui, sur un signe de croix, s’est transformée en vin dans un vase de cristal ! Le mort, le vin et le cristal, trois miracles d’un coup. Il était plutôt content de lui. Il s’amusait de plus en plus. Quand le seigneur du coin en entendit parler, tout fier d’avoir un saint chez lui, il lui donna un terrain pour y bâtir un monastère près d’Aleth.
Malheureusement, Malo n’avait décidément pas de chance avec les envieux.
Judaël, fils de Judual, était l’actuel roi de Domnonée, il avait plusieurs fils. L’aîné s’appelait Judicaël. C’est lui qui devait succéder à son père. Mais le précepteur du cadet se mit en tête d’accéder au pouvoir en plaçant le jeune prince, Haeloc, sur le trône. Pour cela, le précepteur entreprit d’assassiner tous les autres frères. Judicaël réussit à se réfugier au monastère de saint Méen, où il se fit moine. Le plus jeune des enfants, lui, s’est caché chez Malo. C’était un tout petit enfant. Mais le précepteur a profité d’un moment où Malo travaillait aux champs pour s’emparer du gamin. Dès qu’on l’a averti, il s’est précipité à cheval après lui. Il a supplié, exhorté, menacé… le précepteur a égorgé le petit ! Malo est rentré au monastère en essayant d’apaiser la peine qui l’écrasait. Il a fait donner une digne sépulture au petit corps et il a prié… Le précepteur est mort trois jours plus tard, d’une mort honteuse.
Plus rien ne retenait Haeloc de succéder à Judaël. Il avait été bien formé par les préceptes maléfiques de son maître et sa première décision a été de raser le monastère. Face au désastre, le visage tourné vers le ciel, Malo a prié… Haeloc a été frappé de cécité. C’est pas Malo, c’est Dieu ! Un peu plus tard, il a vu arriver Haeloc, tout repentant, prêt à toutes les pénitences, à toutes les contritions… il l’a fait jeûner pendant sept jours… – ça ne servait à rien, mais Malo, ça lui faisait du bien – et il l’a guéri, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Après, Haeloc était complètement transformé. Autant il avait été méchant, autant il ne fit plus que de bonnes actions. Il a fini par rendre le trône à son frère Judicaël.
Ayant baptisé Haeloc, remis Judicaël au pouvoir, converti bon nombre de païens, Malo s’apercevait que c’était une tâche sans fin, il s’est mis à douter d’arriver à changer les humains un jour, il éprouvait le besoin de se retirer dans un ermitage. Il n’emmena avec lui qu’un jeune compagnon, nommé Rival, pour l’aider dans les tâches quotidiennes. Un soir, il terminait ses prières, il l’attendait pour partager leur repas quand…
Ah, voilà sainte Anne.

Malo. – Salut, sainte Anne.
Anna. – Comment qu’c’est, mon Malo.
Malo. – Ça va ! Et toi ?
Anna. – Très bien, j’arrive de Saint-Brieuc.
Malo. – Tu veux t’asseoir ?
Anna. – J’veux ben ! Mais je vous ai interrompus…
Malo. – Pas grave, c’est une dame qui raconte ma Vie.
Anna. – Ah, ben, ça c’est intéressant. Vous en étiez où, mon p’tit gars ?
Malo. – Au moment où des gens d’Aleth venaient me prévenir qu’ils avaient laissé mon compagnon, ligoté sur le sable, alors que la mer montait et que si je voulais le revoir vivant, j’avais intérêt à sauter sur mon cheval tout de suite.
Anna. – J’me souviens vaguement de cet épisode. Et tu l’as sauvé ?
Malo. – Oui, heureusement, et … je l’ai pris sur mon cheval pour le ramener à l’ermitage.
Anna. – Et ?
Malo. – Ils… ils ont…
Anna. – Ben quoi ?
*On dirait qu’il va pleurer.*
Malo. – Ils ont ricané. Ils ont…
*Anna l’écoute attentivement pendant qu’il cherche ses mots. *Anna. – Ils ont ?
Malo. – Ils ont dit un truc affreux…
Anna. – Quoi, mon Malo, qu’est-ce qu’ils t’ont dit ?
*Malo est au bord des larmes.*
Malo. – Je ne me rappelle plus, ils ont parlé d’enfourcher… dans ma cellule !Anna. – Enfourcher… ? Non ! Vraiment !
*Malo se retient autant qu’il peut de pleurer. *Malo. – Après, je ne pouvais plus rester dans cette ville.
Anna. – Tu sais, mon grand, la bêtise humaine n’est pas près de s’arranger. Et ton Église n’a pas facilité la vie des homos.Malo. – Alors j’ai jeté l’excommunication sur les habitants de la ville d’Aleth et je suis parti en Saintonge.
Anna. – Tu es toujours en colère ?
Malo. – Ils m’ont humilié.
Anna. – Bon, Malo, arrête de pigner ! Tu ne vas pas te gâcher la vie éternelle parce que des crétins t’ont traité de pédé au VIe siècle !
*Malo se redresse, se lève et prend son ton de prédicateur.*
Malo. – Je suis pas pédé ! « Non sum pædico !
Anna. – Juste un peu homo ?
*Malo flaire l’embrouille en voyant l’air futé d’Anna, mais ne connaît pas le double sens du mot. *Malo. – Ita homo sum !? Oui, je suis un homme.
Anna. – Ben, tu vois, il n’y a pas de raison de se fâcher !
*Malo sent confusément qu’elle s’est moquée de lui.*
Malo. – Femme ! Ne te moque pas de l’homme de Dieu !
Anna. – Attention Malo ! Tu sembles oublier à qui tu parles !
*Malo se tait. Il boude. *Mon chéri, tu n’es pas obligatoirement ce que les hagiographes ont écrit. Pourquoi on s’attacherait aux délires de vieux moines enfermés dans leur scriptorium trois siècles plus tard ? Et puis, cette blague, et les sous-entendus qu’elle engendre, n’est évoquée que dans le manuscrit de Bili. On aurait pu ne jamais le retrouver ! On peut tout changer. Si tu veux, on écrit une nouvelle Vie de Malo, qu’est-ce qui nous en empêche ? Et on amène des chercheurs à la découvrir, cachée depuis des siècles dans une bibliothèque des Carpates.
Viens t’asseoir à côté de moi, mon grand.
Tu es un bon petit gars, mon Malo. Et l’Église chrétienne était moins intransigeante quand tu vivais, surtout chez les Celtes. On trouve des prêtres mariés, on a dit plus tard qu’ils vivaient dans la chasteté, peut-être… ou pas ! Qu’est-ce qu’on s’en fout ! Non ? En tout cas, si tu as quitté Aleth à cause d’une bande de relous au front bas, eh ben, j’aurais fait comme toi.
*Anna sort sa pipe de sa besace, une petite bouteille de chouchen et deux petits verres.*
Malo. – Qu’est-ce que tu fais ?
Anna. – Ben, j’ai trouvé du chouchen en route, il est temps de bère un coup.
*Anna prépare sa pipe.*
Malo. – Mais Anna, je suis moine, je ne bois pas d’alcool.
Anna. – Ah, oui ? On connaît au moins un moine qui est tombé dans un puits parce qu’il était complètement bourré !
Malo. – Oui, bon, ça peut arriver.
*Elle lui tend un verre avec un fond de chouchen. *Anna. – Tiens, mon p’tit gars, un fond de verre pour trinquer. « yecʼhed mat »
Malo. – Santé, Anna !
*Anna fume et boit doucement son chouchen. *Anna. – Ah, je suis benaise ! Je vais p’têt ben piquer un petit roupillon.
Malo. – Mets-toi à l’aise. Tu peux te reposer dans ma cellule, si tu veux.
Anna. – Ya, j’veux ben. C’est un peu fatigant le Tro Breiz. A tout à l’heure.
Malo. – A tout à l’heure.

Pendant que Sainte Anne se repose, terminons rapidement la Vie de Malo.
Quand il a quitté Aleth, il s’est d’abord rendu à Luxeuil où il a rencontré Colomban. Mais ils n’avaient pas grand-chose à se dire, alors il a poursuivi sa route et est arrivé en Saintonge où l’évêque Léonce l’a accueilli et lui a donné un petit terrain pour y bâtir un ermitage. Après toutes ces péripéties, il ne se sentait bien que retiré du monde. Il a fait quelques miracles pour remercier son bienfaiteur et a passé le reste de son temps en oraison.
Mais, à Aleth, sa malédiction était sans doute disproportionnée, car les habitants furent frappés de la peste, de famine, les sols étaient secs, les animaux ne mettaient plus bas, la population était terrifiée. Alors on lui a envoyé des émissaires et quand il a compris ce qui se passait, il a repris son bâton et il est retourné à Aleth. La foule joyeuse le saluait sur le chemin, les gens se prosternaient, le touchaient… Tout est rentré dans l’ordre, la pluie est tombée de nouveau, l’air s’est purifié et la peste a disparu. Les paroissiens auraient voulu le garder, mais il se sentait mieux en Saintonge, alors il les a copieusement bénis et il est reparti, avec quelques nouveaux disciples.
Et puis il est mort. Certains disent en 620, d’autres en 627, voire en 649. Comme dirait Anna, « on s’en fout ! ».
Et alors… qu’est-ce qui se passe après ?

Les reliques !
L’évêque Léonce fit construire une belle chapelle sur son tombeau (en Saintonge) et les paroissiens venaient s’y recueillir et demander des miracles. Mais à Aleth, quand on apprit sa mort, toute la ville réclama son corps, considérant qu’il avait passé la plus grande partie de sa vie chez eux. Ils ont donc envoyé une délégation à Léonce pour réclamer le corps, arguant qu’il devait être enterré dans « sa » cathédrale. Les prêtres de Saintes leur ont ri au nez ! Il faudrait être fou pour se dessaisir du corps d’un saint qui fait des miracles ! Avec les pèlerinages et les fêtes, c’est toute l’économie de la ville qui en profite. Après, la légende dit que pour transiger, il fut décidé qu’on poserait son squelette sur l’autel, que les parties qui pourraient être soulevées par les Bretons leur appartiendraient. C’est le moment un peu gore de l’histoire ! Le crâne et un bras sont venus, le reste n’a pas voulu bouger. Les Bretons sont partis contents, ils ont placé les os dans une belle châsse, dans la cathédrale et ont fait savoir que le plus important pour les miracles, c’était la tête. Les Saintongeais ont répondu qu’il n’en était rien, et tout le monde a prié en attendant les miracles.
Une autre version dit qu’un Breton était devenu ami avec le sacristain de Saintes, qu’il logeait chez lui et qu’il avait profité de son absence pour subtiliser les clés de la chapelle et voler le squelette, qu’il avait rapporté à Aleth.
Bon, de toute façon, que sont devenues les reliques ? Je n’ai trouvé aucune trace à Saint-Malo, donc je suppose que comme d’habitude les Vikings sont passés par là, et que les reliques ont été dispersées.

*Anna revient, elle se recoiffe et défroisse sa jupe.Elle range sa pipe, sa bouteille et ses verres. *Anna. – Bon, j’va te laisser, mon Malo.
Malo. – Tu peux rester encore, si tu veux.
Anna. – C’est gentil. Je vais continuer mon tour des évêchés.
Malo. – Tu pars pour Dol, chez Samson ?
Anna. – Oui, avant de prendre la route du Sud.
Malo. – Alors, bon voyage, Anna.
Anna. – A s’entr-vair, mon Malo. Et pisque tu sais réguler la pluie, tâche donc d’y penser c’t’été.
Malo. – D’accord, je m’en occupe !

Alors, à vos prières pour la météo !
Et à bientôt pour notre rendez-vous avec Samson.
Kenavo tout le monde.


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