Bonjour, c’est Lize.
Aujourd’hui, je vous raconte la vie de Samson de Dol.
Chronologiquement, j’aurais pu commencer par Samson. En effet, la première Vita, le récit de sa vie nommé la Vita prima en latin, est la plus ancienne connue actuellement. Elle précède toutes celles des autres saints. Les chercheurs ne sont pas unanimes sur la date de sa composition, certains considèrent qu’elle a été écrite dès le VIIe siècle, d’autres plus tard. Ils s’accordent en général sur le fait qu’elle a servi de modèle à de nombreuses autres vies. Je vous rappelle que les Vies des saints sont écrites par des hagiographes qui ont pour but de produire des histoires édifiantes, transmettant les valeurs de la Grande Église, quitte à contourner la stricte vraisemblance historique. Si vous avez regardé les vidéos précédentes, vous retrouverez des thèmes déjà rencontrés, tels que la façon de soigner les malades ou les paralytiques, de tuer les dragons, etc. Mais je ne vais pas spoiler cet épisode.
Que sait-on de Samson ?
Il est né… ? Au Pays de Galles.
Il a fait ses études… ? Au monastère de LlanIltud, avec… saint Iltud.
Se sentait-il bien en collectivité… ? Non, il préférait la solitude des ermites, le silence et les austérités les plus dures.
Est-ce qu’il a pu se retirer du monde… ? Non, pas toujours, on l’a obligé à occuper la fonction de guide de son peuple…
Etc.
Vous voyez, nous sommes en terrain connu.
Mais ce n’est pas une raison pour nous priver d’une belle histoire enjolivée de légendes populaires et, reconnaissons-le, un peu païennes.
Alors, allons-y.
Samson est né vers 495 dans le Glamorgan.
Ses parents, Amon et Anne, vivaient au Pays de Galles. On raconte que leurs parents respectifs étaient éducateurs des enfants royaux de deux petits royaumes au sud du Pays de Galles, le [ˈdəvɛd] qui en français s’écrit Dyfed et le Gwent. Amon avait un frère, Umbraphel, Anne avait une sœur, Afrella. Ils étaient de même niveau de noblesse, on maria les deux aînés, ceux qui avaient les prénoms bibliques, ensemble et les deux cadets également. Est-ce que l’arrangement convenait aux intéressés ? Éprouvaient-ils une attirance réciproque ? L’histoire ne le dit pas et se montre pudique sur le sujet. On remarque cependant qu’Anne est restée stérile pendant des années. Trente-sept ans, dit Albert Le Grand, mais il est réputé pour ses délires. Or, selon la Vita prima, au bout de peu de temps, Afrella conçut et mit au monde un fils, puis deux autres, « les époux s’unissant paisiblement en toute dignité ». On n’explique pas comment on fait des enfants paisiblement en toute dignité :), et les moines ne sont pas les plus experts sur le sujet. En tout état de cause, ça devenait humiliant pour Anne et vexant pour Amon qui se trouvait sans héritier alors que son frère avait déjà trois fils.
La situation était suffisamment préoccupante pour qu’ils consultent un « copiste », un « maître » qui habitait dans les terres lointaines du Nord et dont la rumeur assurait que tous ceux qui « s’adressaient à lui voyaient se vérifier ce qu’il leur avait dit. » Un voyant, donc ! Un devin ! Peut-être l’aurait-on nommé « druide » sans l’interdit qui pesait sur la vieille religion, ou chamane dans les régions sibériennes, ou gourou aujourd’hui.
Anne et Amon entreprennent le voyage. Arrivés sur place, ils trouvent le maître entouré d’une foule bruyante, et celui-ci, dès qu’il les voit, dit à Amon : « Je connais la raison de votre venue : c’est parce que ta femme est stérile, mais on va arranger ça. Commence par façonner une baguette d’argent grande comme ta femme et de l’épaisseur d’un petit doigt et Dieu accédera à vos désirs. » Amon, tout content, répond : « Pour avoir un fils, je suis prêt à donner trois baguettes d’argent ». C’est un peu bizarre, cette histoire de baguettes d’argent. Pas très « catholique », en somme. En revanche, dans les vieilles histoires celtiques et en droit gallois, on savait que les baguettes d’or ou d’argent de la taille d’une personne étaient données à titre de compensation en cas d’offense, c’était le « prix de l’honneur ». En Bretagne armoricaine, c’était l’indemnité due par le mari après la consommation du mariage. Tout cela me laisse perplexe : pourquoi Amon devait-il donner des baguettes d’argent ? A cause d’une offense ? Avait-il trompé sa femme ou déshonoré quelqu’un ? Est-ce le grave péché dont il se confessera plus tard auprès de son fils ? Certains historiens interprètent ce péché comme un sous-entendu de pédophilie. Si c’est le cas, Amon s’en sortait plutôt bien avec ses trois baguettes d’argent de compensation ! Ou n’avait-il pas consommé le mariage ? Est-ce que le couple ne s’entendait pas ? Là-dessus encore, la Vita est muette et nous restons avec nos suppositions.
Le maître, alors, leur propose de passer la nuit chez lui. Quand tout le monde dort profondément, « le Seigneur » apparaît à Anne et lui dit qu’elle est bienheureuse car un enfant va être conçu dans son ventre. Anne est sidérée, elle n’ose ni bouger ni rien dire. L’ange lui parle avec douceur en guise d’aimable encouragement, il lui dit : « Femme, n’aie pas peur et ne sois pas méfiante, le Seigneur en effet daignera réconforter ta tristesse et tes larmes se changeront en joie. » … L’ange ajoute qu’elle doit appeler son fils Samson, que celui-ci sera un saint et un chef, carrément un prêtre suprême, que tout cela lui sera confirmé le lendemain par le maître « copiste ». Effectivement, le lendemain matin, ce dernier lui répète, mot pour mot, devant Amon, ce qu’a dit l’ange pendant la nuit.
Anne et Amon rentrent chez eux, Samson naît neuf mois plus tard, il aura des frères et une sœur et quand il a cinq ans, sa mère pense qu’il est assez mûr pour commencer des études au monastère. L’hagiographe insiste beaucoup sur l’obsession de la mère à préserver la « pureté » de son enfant. Certains commentateurs laissent entendre que la prétendue précocité de Samson était un prétexte pour l’éloigner de risques d’atteinte physique à son innocence.
Au début, Amon s’opposa à ce projet.
L’apparition dans la nuit d’un ange courroucé et menaçant, un ange Tape-dur, le remit à de meilleures dispositions et dès l’aube, il dit à Anne : « Conduisons sans tarder notre fils à l’école, ou plutôt le fils de Dieu, car Dieu est avec lui et ordonne qu’il en soit ainsi. » Anne, toute contente, se lève et ils partent.
Ça, c’est la version de la Vita. On peut aussi soupçonner Anne d’avoir menacé Amon de partir avec son héritier et de retourner vivre dans sa famille, s’il n’en passait pas par sa volonté. Chez les Bretons, la volonté de Dieu et celle des femmes vont parfois de pair !
Après deux jours de marche, ils arrivent au monastère de LlanIlltud. Saint Illtud les accueille en personne. Il dit :
« Merci, ô mon Dieu, d’avoir donné naissance à ce soleil qui apportera la lumière divine à tant de peuples, de part et d’autre de la mer, et qui leur procurera le salut éternel ! Voici le guide spirituel des Bretons, le modèle parfait de tant de saints, l’honneur et la gloire de notre peuple, le grand bâtisseur d’églises, le plus savant depuis les apôtres ! » A ces mots, Amon ne se sent plus de joie ! Non, blague à part, si Samson n’a pas pris la grosse tête immédiatement c’est qu’à cinq ans, il n’a rien compris aux incantations du vieux.
Quand Anne tente d’interroger Illtud pour en savoir davantage, il « lui ferme la bouche » et elle est « obligée de se retirer avec Amon ».
Mais non, Illtud n’a pas « fermé la bouche » d’Anne ! C’est juste la version de Dom Lobineau dans son livre Les Vies des saints de Bretagne. Dans une traduction plus récente on lit que ce sont les deux parents qui auraient voulu en entendre davantage « de la bouche d’Illtud » mais qu’il a répondu qu’il ne leur en dirait pas plus et qu’il était inutile d’insister car « il y a un temps pour se taire et un temps pour parler ! Quant à cet enfant, dit-il, remettez-le moi pour qu’il étudie. » Point. C’est ce qui s’appelle se faire congédier !
Samson est resté auprès de son maître, il a fait « au revoir » à ses parents, ils sont partis.
Alors Illtud a pris sa main, ils ont marché vers le réfectoire du monastère, côte à côte, le grand saint et le tout petit garçon.
Il l’a présenté à ses condisciples, il était le plus jeune, forcément, à cinq ans !
Il s’est senti très bien à LlanIlltud. On dit qu’il a appris les lettres de l’alphabet en une journée, et les rudiments du latin en un mois. Peut-être, en tout cas, il était content d’apprendre. Il se récitait des psaumes par cœur, pour le plaisir. Il voulait aussi imiter les moines, se soumettre aux mêmes austérités. Vers l’âge de quinze ans, il voulait des jeûnes encore plus stricts, des privations de sommeil plus longues… Illtud, avec sagesse, l’en dissuadait. Il lui disait qu’il aurait besoin d’un corps en bonne santé pour réaliser les intentions de Dieu et qu’il fallait attendre d’avoir terminé sa croissance avant de s’imposer cette discipline rigoureuse.
Illtud était un bon maître qui cherchait toujours à développer les capacités propres de ses élèves. Dès qu’il les en sentait dignes, il leur parlait d’égal à égal. Samson passait des moments inoubliables avec lui à étudier les Saintes Écritures. Un jour, ils buttaient tous deux depuis le matin sur l’interprétation d’un passage obscur, ils avaient cherché dans les commentaires de l’Ancien et du Nouveau Testament, relu le passage en question des dizaines de fois… Illtud a dit : « Inutile de nous obstiner, nous ne trouverons pas l’explication aujourd’hui. Il faut lâcher pour ce soir ! »
Samson a obéi mais il détestait s’avouer vaincu. Bon ou mauvais, il y avait obligatoirement un sens à trouver à ce passage ! Alors il a prié, il a dit à Dieu qu’il ne mangerait rien et qu’il ne dormirait pas une minute tant qu’Il ne lui aurait pas donné la solution à ce problème. Un ange est arrivé en trombe, et lui a dit doucement : « Dieu t’entend, repose-toi et tu auras la réponse dans ton sommeil. » Rassuré et confiant, il s’est endormi. Et effectivement, le lendemain matin, il savait ! Il a couru raconter sa nuit à son maître, tout fier de lui confirmer que Dieu répondait à ses prières. Illtud l’a félicité, remercié de lever l’obscurité du passage des Écritures, et il a ajouté : « Mais tu sais, souvent le sommeil apporte les réponses demandées sans qu’il soit nécessaire d’interpeller Dieu ! »
Quelques jours plus tard, Samson travaillait dans la salle d’étude avec son maître quand un moine est entré hors d’haleine et en pleurs. Il courait annoncer à Illtud qu’une vipère avait mordu un jeune moine dans un champ et qu’il était en train de mourir. Illtud s’est levé pour se rendre sur place, mais Samson s’est mis devant lui et l’a supplié de le laisser tenter de sauver son camarade. Illtud a froncé les sourcils et lui a demandé comment il s’y prendrait. Impulsivement, il a répondu : « Mon père est savant et habile, il m’a appris les paroles à prononcer. » « Ton père ! Amon ! Il connaît la magie !? » s’est exclamé le maître incrédule. Samson avait parlé sans réfléchir. Il se tira d’embarras comme d’habitude par une citation des Saintes Écritures : « Maître, je n’ai d’autre père que celui dont le prophète a dit Tes mains m’ont formé, elles m’ont créé, Elles m’ont fait tout entier… » Job, 10,8… ce qui n’avait pas grand-chose à voir avec la situation puisque le verset se termine par et tu me détruirais ? Illtud n’a pas été dupe de sa roublardise, avec un petit sourire amusé, il a dit « Va, élu de Dieu ! »
Samson s’est précipité vers le champ où le moine gisait, à l’agonie, et les mots, les gestes lui sont venus. Il a étalé un peu d’huile et d’eau sur la morsure, tracé un signe de croix et prononcé les paroles qui lui venaient spontanément. Le moine a bougé, rouvert les yeux, il était sauvé. Les autres moines ont hurlé leur joie, ils ont félicité Samson, leur enthousiasme était sans limite. Ils sont tous rentrés au monastère. Illtud les attendait sur le pas de la porte. Il a embrassé le miraculé et a pris Samson à part : « Tu es bien jeune pour avoir ce don. Sache que les techniques de magie sont des outils dangereux quand l’âme de celui qui les pratique n’est parfaitement pure et libre de toute fierté. Va prier dans l’église. »
Pauvre Samson qui attendait des louanges !
Vexé, il a passé la nuit debout dans l’église, refusant de s’appuyer pour soulager la fatigue, pendant trois jours il n’a pas dormi, pendant toute une semaine il a jeûné, ne s’autorisant que quelques minutes d’assoupissement assis sur le sol, le dos contre un mur glacial… Illtud passait de temps en temps, le regardait, repartait… quelque chose en lui se révoltait, défiait son maître.
Au septième jour, le « quelque chose » a craqué, Samson a senti… il n’aurait pas su décrire ce sentiment. La plénitude, la chaleur, l’amour, la douceur, la noblesse de cœur… ?
Illtud est arrivé, ses yeux bleus pétillaient de malice, il a dit « Alors, élu de Dieu ? », il a mis la main sur l’épaule de Samson qui titubait un peu de fatigue et d’inanition, et l’a conduit au réfectoire.
Je vous raconterai la suite de la vie de Samson dans la prochaine vidéo.
En attendant, Kenavo !
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