Texte de la vidéo – Saint Brieuc 1/2

Bonjour, je suis Lize Kergonan, aujourd’hui je vous raconte la vie de Saint Brieuc.

Par rapport à Pol ou Tugdual, la vie de Brieuc ne présente a priori rien d’original : né au Pays de Galles comme la plupart de ses confrères, à Cardigan, il fait cependant partie des premiers « saints » celtiques formés par Germain l’Auxerrois. Brieuc est de la génération de Patrick qui a converti l’Irlande. Leur sainteté reposait sur une vie austère faite de jeûnes, de prières, d’absence de divertissement : le seul truc amusant c’étaient les miracles. Ils les utilisaient pour convertir les peuples au Vrai Dieu, le dieu de la Bible. Pour le reste, ils étaient de grands défricheurs, bâtisseurs et de grands bagarreurs surtout contre les hérétiques. Les parents de Brieuc, Cerpus et Eldruda, étaient de riches seigneurs gallois qui s’accrochaient joyeusement à leurs coutumes païennes malgré l’évangélisation qui se développait en Grande Bretagne. On raconte, du moins les hagiographes racontent… Je vous rappelle qu’un hagiographe est un auteur spécialisé dans la vie des saints, son objectif étant de montrer l’exemplarité de leur vie tout en insistant sur leur humilité face à la grandeur divine.

Donc, les hagiographes chrétiens racontent qu’alors que sa mère, Eldruda, était enceinte, un ange lui apparut en songe. Il lui dit : « Lève-toi, femme, et adore fidèlement le Dieu du ciel, créateur de toutes choses, prie-le de tout ton cœur et demande-lui qu’il dissipe les ténèbres de ton esprit et de celui de ton mari ; prie-le qu’il vous découvre à tous deux la lumière de la vérité. » Il a eu de la chance qu’elle ait été endormie, sinon elle l’aurait envoyé paître, cet ange, car personne ne disait « Lève-toi, femme ! » à Eldruda.

Mais dites-moi, outre le fait d’être un grossier personnage, n’était-il pas à moitié hérétique, l’envoyé de Dieu ? Selon l’enseignement de Saint Augustin, validé par les conciles de Carthage, Dieu n’accorde sa Grâce qu’à ceux qu’il choisit lui-même. Les autres peuvent bien le prier tant qu’ils veulent, si Dieu n’est pas décidé, il ne les sauvera pas, ils ne recevront rien du tout.

Dire que l’homme (ou la femme !) peut choisir seul d’aller vers Dieu, c’est la doctrine du moine hérétique breton Pélage. Celui que Germain d’Auxerre a combattu toute sa vie. Bon, admettons que l’ange se soit mal exprimé et qu’il ait voulu dire (emphatique) « Dieu t’a choisie pour donner naissance à Brieuc. Tout de suite mieux. Eldruda ouvre un œil, juste étonnée des familiarités d’un ange missionné par le Très-Haut qui lui dit « Femme, debout ! », et elle se rendort.

La nuit suivante, l’ange conscient d’avoir risqué l’excommunication, revient et rectifie : « Femme, je suis envoyé par Dieu pour t’annoncer ce qu’Il a décidé. Vous engendrerez, Cerpus et toi, un fils cher à Dieu et riche en mérites qui deviendra, dans la pratique de la religion chrétienne, un salutaire exemple pour le peuple par ses mœurs saintes, sa chasteté remarquable, sa piété sincère, sa douce charité, sa science surnaturelle et… sa perfection. » A la limite de la flagornerie, mais mieux ! « Annonce cette nouvelle à ton époux. Avertis-le en toute hâte de briser ses idoles et d’adorer avec empressement le Dieu vrai qui règne dans les cieux. » Eldruda répond qu’elle veut bien essayer mais que d’une part elle respecte la liberté de culte de son époux, que d’autre part il est du genre breton têtu et très content de ses dieux actuels.

L’ange ajoute : « Vous ferez trois baguettes, deux d’argent dont la première sera pour toi, la seconde pour ton mari, et une d’or pour votre fils, que vous déposerez dans votre trésor jusqu’à la naissance de cet enfant. Lorsqu’il sera grand, vous le confierez à l’évêque Germain qui l’instruira dans les arts libéraux et lui donnera une bonne éducation. » Que viennent faire les baguettes d’argent et d’or dans cette Annonciation ? Aucune idée. Une réminiscence de marchandage avec des dieux du terroir, peut-être ? Comme l’avait prévu Eldruda, Cerpus s’est montré peu disposé à honorer un Jésus de Palestine, qui écrivait dans une langue non celtique, qui n’avait pas fait ses preuves au combat et qui envoyait un ange dans la chambre de sa femme en pleine nuit… pour lui donner des ordres ! Deux nuits de suite, il fit la sourde oreille. Mais la troisième nuit fut décisive : l’ange lui flanqua une bonne rouste qui « l’arracha à sa torpeur ».

Tabassé en pleine nuit, il dut reconnaître que ses dieux ne faisaient pas le poids face à la brute angélique et il dit quelque chose comme : « D’accord faites comme vous voulez ! » En tout cas, Brieuc est né. Son enfance s’est passée sans autre incident.

Jusqu’au jour où Germain, Saint Germain l’Auxerrois, arrivant de Gaule, a débarqué en Grande Bretagne pour éradiquer l’hérésie pélagienne.

Eldruda a rappelé à Cerpus la promesse faite à l’ange, mais celui-ci ne comptait nullement confier l’éducation de son héritier à un évêque gallo-romain selon lequel il n’y avait qu’un seul dieu, le sien ! C’était quoi cette religion qui adorait une pauvre victime crucifiée ? L’ange Tape-dur est réapparu… Le lendemain, on mit les trois baguettes d’argent et d’or dans le sac de Brieuc, et peu après il rencontrait Germain.

Nous sommes alors vers l’an 430. Quand Germain a quitté la Grande Bretagne pour retourner en Gaule, à Auxerre, Brieuc l’a accompagné. A leur arrivée au monastère, une colombe voletait devant lui. C’est cette colombe que vous voyez aujourd’hui sur un vitrail de la chapelle Notre-Dame de la Fontaine à Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor.

C’était sa première marque de sainteté ! Arrive ensuite l’épisode de la cruche. Comme Brieuc était un petit saint, il donnait tout ce qu’il avait aux pauvres : manteau, chaussures, etc… Or un jour, alors qu’il allait chercher de l’eau, il croisa quelques pauvres lépreux qui lui demandèrent l’aumône. Il n’avait rien d’autre sur lui, il leur donna la cruche. Pas de chance, un de ses petits camarades est allé le cafter auprès de Germain. Il a dit que Brieuc dilapidait le matériel du monastère. Germain l’a fait appeler. Heureusement un autre condisciple l’avait prévenu. Brieuc était désespéré. Il est entré dans l’Église et il a prié, prié… Il se préparait à décevoir son maître quand, en se retournant, il vit une magnifique cruche, toute ciselée, posée derrière lui. Alors il la prit et la porta à Germain pour s’excuser.

Celui-ci regarda avec attention ce vase d’une rare beauté et il devina que quelque mystère divin se trouvait là. Il se tourna vers ses compagnons et s’écria : « Cet enfant est plus juste que nous, puisque la grâce divine a ainsi rempli son âme. » Sympa, non ? Germain retourna en Grande Bretagne en 448, toujours pour s’opposer à l’hérésie de Pélage.

Il demanda à Brieuc de l’accompagner. A titre d’exercice, ce dernier devait convertir toute sa famille à la foi chrétienne. Quand il arriva devant la maison de ses parents, sa mère courut vers lui et le prit dans ses bras. Il était tellement ému de ressentir sa joie ! Mais il ne devait pas s’attendrir, il avait une mission. Il chercha son père.

Cerpus était facile à trouver, il suffisait de se repérer au niveau sonore. Cela se passait au premier de l’an. Premier janvier ou premier novembre, selon les historiens, tendance romaine ou tendance celtique. Quelle qu’en soit la date, les festivités du premier de l’an sont une coutume ultra païenne à laquelle les évêques chrétiens voulaient mettre fin. C’était l’occasion de ripailles, de beuveries, de chansons paillardes, de bagarres, de mauvaises conduites en tous genres ! Tout ce qui plaît aux Bretons ! Ces fêtes ne cessaient que « par excès de fatigue » dit pudiquement un texte ancien. Cerpus n’envisageait pas de renier le sens de l’hospitalité ancestrale pour se soumettre à l’austérité d’une vie chrétienne. Brieuc le trouva complètement bourré, fort joyeux et en verve avec ses invités. Il proposa à son fils de se joindre à eux, ce qu’il refusa évidemment. A ce moment, un des convives qui dansait avec la fougue de l’ébriété tomba par terre et se cassa le fémur et le poignet. C’était le moment qu’attendait Brieuc. Se recommandant à Dieu, il fit le miracle idoine et les os de l’homme furent réparés. La foule l’acclama avec grand enthousiasme et fortes titubations, il leur ordonna de jeûner pendant sept jours à l’issue desquels, il les baptisa au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.

Puis il fonda un monastère, transforma les temples païens en églises et vécut là pendant plus de trente ans, multipliant miracles et conversions. Jusqu’à ce que réapparaisse l’Ange Tape-dur qui l’informa de la nouvelle décision de Dieu : il devait traverser la mer afin de donner aux Bretons migrés en Armorique l’exemple d’une vie religieuse et sainte. Ils manquaient de chefs spirituels. Avec le recul, on peut se demander si Dieu ne répondait pas aux prières pressantes des chefs gallois qui avaient bien du mal à canaliser les ardeurs pagaillouses de leurs clans en Petite Bretagne. La vision politique de Dieu est impénétrable ! Brieuc ne se posait pas ces questions, il traversa la Manche avec soixante-huit moines. Ou plus, on ne sait pas.

Ils arrivèrent en 485 sur les côtes de la Domnonée, situées au Nord de l’Armorique, dans la Vallée Double, à l’embouchure du Gouët, dans la baie dite aujourd’hui « de Saint-Brieuc ».

Avec les moines, ils remontèrent dans les terres et construisirent un ermitage près d’une source aux eaux abondantes. On la voit aujourd’hui adossée à la chapelle « Notre-Dame-de-la-Fontaine ». Contrairement à ce que certains prétendent, Brieuc n’a pas dédié son oratoire à Notre-Dame. Lui et ses camarades « saints fondateurs » n’étaient pas franchement adeptes d’un culte féminin. Peut-être parce les Notre-Dame de ceci ou cela rappelaient trop les déesses animistes que les populations rurales honoraient pieusement. Mais c’était probablement juste une rivalité de pouvoir. Car ils n’avaient aucune animosité envers les femmes.

Rien à voir avec les évêques qui suivaient à la lettre les dégoûts de Paul de Tarse et d’Augustin d’Hippone. D’ailleurs, après la mort de Brieuc, deux prêtres bretons ont été vertement tancés par l’évêque de Tours et par Melaine de Rennes, deux gallo-romains qui défendaient les dogmes de « la Grande Église ». Vers 515, ces deux évêques ont écrit aux Bretons : « Nous avons appris que vous ne cessez point de porter chez vos compatriotes, de cabane en cabane, certaines tables sur lesquelles vous célébrez le divin Sacrifice de la messe, avec l’assistance de femmes auxquelles vous donnez le nom de conhospitae ; pendant que vous distribuez l’Eucharistie, elles prennent le calice et osent administrer au peuple le sang du Christ. » C’était vraiment faire trop d’histoires pour quelques cas où des prêtres ont demandé un coup de main à leur femme ou leur concubine pour célébrer la messe. Pas de quoi brandir la menace d’excommunication. Si ? Je reprends mon récit.

Nous en étions à la fontaine « aux eaux abondantes ». Arrive à ce moment un cavalier qui les prend pour des brigands ou des Saxons. Il est vrai que leur tenue n’inspirait pas confiance, avec leurs manteaux en peau de chèvre à poils roux et leurs cheveux longs selon la tonsure celtique, on ne détectait pas immédiatement des hommes de Dieu. Sans les écouter, le cavalier s’est précipité pour prévenir le chef du pays que des voyous s’installaient sur ses terres. Riwall a envoyé des troupes pour les réexpédier sur les flots. Mais, petit miracle, Riwall se mit à ressentir de fortes douleurs intestinales qu’il associa à la décision qu’il venait de prendre, il y vit un mauvais présage. Il ordonna qu’on amène ces étrangers devant lui. Et là, Alleluia, dès qu’ils se virent : « Salut, cousin ! » Riwall avait traversé la Manche plusieurs années auparavant pour s’installer avec ses troupes, femmes et enfants en Armorique. Brieuc et lui étaient de la même famille galloise. Brieuc guérit Riwal de ses maux de ventre en lui donnant à avaler un peu d’eau bénite, là-dessus Riwal lui donna son domaine du Champ du Rouvre pour y fonder un monastère et lui-même partit vivre dans son château d’Hélion.

Brieuc et ses moines défrichèrent les terres, enseignèrent la parole de Dieu, convertirent, firent des miracles… La prochaine fois, je vous raconterai pourquoi on voit souvent des loups représentés aux pieds de Brieuc dans les églises.

Voilà pour aujourd’hui. A +


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