Bonjour. C’est Lize Kergonan. Aujourd’hui, je vous parle de Tugdual de Tréguier. Tugdual est né à la fin du Ve siècle ou au début du VIe siècle, probablement au Pays de Galles comme Pol, et il est un peu plus jeune que lui. Vous le voyez, les informations sont approximatives.
Son père, Hoël Ier, était roi en Armorique. Sa mère, Pompeïa, une galloise, est aussi connue sous le nom de Sainte Coupaïa. Il avait deux frères : Hoël qui devint Hoël II à la mort de son père et Lunaire, Saint Lunaire. Il avait aussi une sœur, Sainte Sève. Dans sa famille on est soit roi, soit saint.
Les « saints » bretons ne sont pas des martyrs jetés aux lions, ce sont des moines qui ont fait des études dans un monastère, pour ensuite organiser l’arrivée en Armorique des migrants de Grande-Bretagne, ils défrichent les forêts afin de cultiver les terres… Quelques miracles là-dessus, et c’est tout good !
Hoël, son père était un neveu du roi Arthur. C’est pourquoi dans sa jeunesse il l’a rejoint sur l’île de Grande-Bretagne pour lui prêter main forte. Au Pays de Galles, il a rencontré Pompeïa, et c’est là que Tugdual est né. Quand il a eu l’âge d’étudier, ses parents l’ont envoyé au monastère de Saint Illtud, dont je vous ai déjà parlé dans la première vidéo sur Pol. Embrasser la voie monastique ne lui déplaisait pas. Lannilltud était un endroit réputé et il adorait apprendre. Il aimait les manuscrits plus que les armes et il s’est tout de suite senti bien à l’école. Pol y avait été formé quelques années auparavant et Samson, David, Gildas, sont restés ses amis toute leur vie. Puis Lunaire, son petit frère, l’y a rejoint. En dehors de la prière et de l’Évangile, Illtud leur apprenait des trucs de dingues : faire jaillir une source avec un bâton, guérir les malades, ressusciter les morts, apprivoiser les dragons… On était au début du VIe siècle, et il y avait encore des dragons en Bretagne.
Heureusement que les saints bretons sont venus les exterminer, sinon on serait mal !
Très vite, Tugdual a adoré le jeûne, la sensation de légèreté et d’euphorie que cela provoquait, il est devenu carrément addict au jeûne. Alors dès qu’Illtud a considéré qu’il était prêt, il s’est retiré dans un ermitage. Il dormait à même le sol, priait toute la journée. Malgré lui, sa réputation s’est répandue aux alentours. Les villageois et les paysans le sollicitaient pour des conseils, des recommandations de prières. Ils demandaient surtout la guérison de maladies. Tugdual priait Dieu, imposait les mains, guérissait. Il était content d’appliquer les enseignements d’Illtud.
On dit aussi qu’il séjourna en Irlande, suffisamment longtemps pour qu’on le croie Irlandais.
Quand Tugdual est devenu abbé d’un monastère, il a pensé qu’il y finirait sa vie. Mais un ange lui est apparu une nuit. Il lui a dit : « Tugdual, Dieu te commande de quitter la Grande-Bretagne, ta patrie, et de te transporter hâtivement en la petite Bretagne. » Tugdual a trouvé bizarres ce vocabulaire et cette intrusion, il a supposé que cela était dû à un abus de jeûne prolongé ou que Satan tentait de lui filer la grosse tête ; il a répondu à l’ange qu’il demandait une double validation. La nuit suivante, l’ange est revenu… Tugdual n’était toujours pas convaincu… à la troisième nuit, l’ange a parlé plus fermement, Tugdual s’est résolu à obéir, la patience de Dieu n’est pas sa qualité principale.
On devait être vers 525/530, à ce moment, Hoël Ier mourut. Hoël II, frère de Tugdual, devint roi en Armorique, sa mère, veuve, avait très envie de retourner en Bretagne continentale où elle avait passé plusieurs années dans sa jeunesse. Elle était la sœur de Riwall, Rivallon, le premier grand roi breton installé en Armorique. Quant à Sève, du moment qu’on la laissait prier en paix et qu’on ne lui demandait pas de se marier, elle était prête à les suivre où bon leur semblerait.
Pour info, ne soyez pas déroutés par ces aller et retour entre la Grande-Bretagne et l’Armorique : à cette époque, les rois pouvaient avoir un royaume dans chaque pays. Par exemple, la Domnonée qui correspond à la majeure partie du nord de l’Armorique était aussi un royaume de l’autre côté de la Manche, avec le même roi. Je passe sur la façon dont s’est passée la migration. Je vous raconte plutôt la « Vita » de notre saint et ferai un point historique dans une autre vidéo.
« Vita » est un mot latin, qui signifie… « vie ». Sous la forme d’un livre (un manuscrit à l’origine) on y raconte la vie des saints. Mais il ne s’agit pas de simples biographies ! Ce sont des saints, tout de même. Donc on leur consacre des « hagiographies », du grec ancien
[ἅγιος] « saint », et [γράφω] « écrire », les hagiographies sont écrites par des… hagiographes ! Mais comme les hagiographes en question étaient des moines de l’Église romaine qui rédigeaient plusieurs siècles plus tard, je vous laisse évaluer la fiabilité historique. De plus, c’était très codé : une enfance de petit saint, les dragons, les miracles, etc. Enfin, vous allez bien voir.
Donc… à la demande pressante de l’ange représentant de Dieu, Tugdual s’est rendu au port le plus proche, avec soixante-douze moines, sa mère Pompeïa-Coupaïa, sa sœur Sève et la veuve Maheleu qui s’était imposée, affirmant qu’on aurait besoin d’elle pour faire le lavage. En tant que moines ermites, il leur revenait de veiller à leur propreté, cela dit ils restaient néanmoins des hommes et si vraiment cela faisait trop plaisir à cette dame, ils ne pouvaient s’opposer à sa vocation.
Sur la côte de Cornouailles (le Cornwall de Grande-Bretagne) un vaisseau les attendait. Il les conduisit sur le rivage du Léon en Armorique dès le lendemain, puis aussitôt après leur débarquement il disparut. Ce qui, comme chacun l’admettra, était la preuve irréfutable de son caractère miraculeux. À la réflexion, le capitaine ressemblait étrangement à l’ange du rêve.
Ils étaient sur la presqu’île de Kermorvan, dans un petit port de la paroisse de Ploumoguer, non loin du Conquet.
Il leur fallait trouver un endroit où s’installer. Pompeïa voulait marcher jusque chez Hoël II, pour lui demander une terre. Mais Tugdual avait bien assez de famille autour de lui comme ça et il lui dit qu’elle pouvait y aller avec Sève si elle avait envie, mais qu’il sentait que sa mission se trouvait au pays du Léon. On ne peut pas dire qu’il a menti. Le fait est qu’il « ne le sentait pas » de se retrouver au milieu des troupes mal dégrossies de son frère !
Il s’est alors renseigné sur le maître de la région. Il s’agissait du comte Withur que nous avons déjà rencontré au cours de l’épisode sur Pol. Et comme justement il allait venir bientôt à Ploumoguer. Tugdual prépara donc l’entrevue comme le lui avait enseigné Illtud : en entrant dans la ville, il repéra à la porte un pauvre homme boiteux, si affaibli par la maladie qu’il n’avait plus que la peau sur les os, et qui lui demanda l’aumône. Il lui donna quelques pièces et lui ordonna : « Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche ! » Ce qu’il fit. Il est parti proclamer dans les rues qu’un saint homme lui avait redonné la santé.
Le comte Withur, qui avait déjà Pol chez lui, se réjouissait d’héberger des saints fertiles en miracles. Il lui a donné une terre pour y fonder son monastère. Cet endroit s’appelle aujourd’hui « Trébabu », « Babu » est un des noms de Tugdual, je vous en parlerai plus tard, dans une deuxième vidéo, c’est sa singularité par rapport aux autres saints.
Mais à peine étaient-ils installés que l’ange envoyé de Dieu lui intima l’ordre de partir évangéliser « vers l’Orient ». Vers l’Orient ! « Évidemment, gros benêt, regarde la carte ! On ne va pas évangéliser les cachalots ! » pensa Tugdual.
Passé ce mouvement d’humeur, il comprit que la volonté de Dieu était qu’il se rende en Domnonée et qu’il ne servirait à rien de rechigner.
La Domnonée armoricaine s’étend globalement du Trégor jusqu’au Pays de Dol. Avec les moines, sa mère, sa sœur, et la Maheleu, ils avaient débarqué à l’extrémité Nord-Ouest du Pays du Léon dont le siège épiscopal était « Saint-Pol-de-Léon », près de la limite Est du pays. Or, le roi de Domnonée était Deroch, fils de Riwall, lui-même frère de Pompeïa,
donc si vous suivez bien, Deroch est son cousin. Tout cela, c’est « la Famille ».
Sur le chemin, il fit encore des miracles à la demande, à chaque étape il laissait quelques moines qui fondaient un ermitage ou un monastère, et ils finirent par arriver chez Deroch.
Celui-ci fut très heureux d’avoir lui aussi un saint ermite sur son domaine, il lui dit de prendre la terre qu’il voulait et il se recommanda à ses prières. Restait à trouver le bon emplacement. Parvenu à la vallée appelée Trecor, aujourd’hui Tréguier, quand il vit ce beau petit port, il eut l’intuition que c’était là. Il fonda aussitôt un sanctuaire et un ermitage. En attendant la construction de l’église, il fit bâtir une petite chapelle pour y célébrer la messe et enseigner les Évangiles à la population.
Pas très loin, il y avait… un dragon qui parfois sortait de sa caverne et dévorait hommes, femmes, enfants et bétail si bien que ce territoire restait en friche, personne n’osant y habiter ni cultiver la terre. Les propriétaires sont venus le trouver et lui ont fait part de la situation. Le lendemain matin, après la messe et la prière « des dragons » enseignée par Illtud, Tugdual entreprit d’en débarrasser le pays. Revêtu des vêtements sacerdotaux et armé de la Croix en guise de bâton, il se fit conduire à la caverne du monstre, lui ordonna de sortir, lui attacha son étole autour du cou et le traîna tranquillement jusqu’à un rocher du haut duquel il lui enjoignit de se précipiter. Ce qu’il fit. On ne l’a jamais revu.
Les propriétaire du terrain en furent reconnaissants mais leur gratitude n’allait pas jusqu’à financer l’église que Tugdual tenait à ériger dans son enclos monastique. Les moines devaient se contenter de prier dans la modeste chapelle en bois recouverte de chaume. Il en était bien triste et souvent, le soir, il priait Dieu de trouver une solution. Or c’est le Diable qui répondit et proposa un marché : il construirait une splendide église en une nuit à une condition : que les âmes de tous ceux qui mourraient le dimanche suivant entre la grand-messe et les vêpres célébrées dans cet édifice lui reviennent. Tugdual réfléchit un instant et donna son accord. Satan s’étonna d’avoir si vite emporté son assentiment et, méfiant, il lui fit signer de son sang le pacte qui les liait. Après quoi il s’en alla tout joyeux raconter partout en Enfer que ces petits saints celtiques n’avaient pas la foi bien accrochée, et qu’il suffisait de leur faire miroiter un bâtiment prestigieux pour qu’ils abandonnent les âmes de leurs paroissiens.
Le diable tint parole et le lendemain, un dimanche, les moines et la population furent stupéfaits de trouver une splendide église à la place de l’ancienne cabane. C’était à Tugdual de jouer ! Il a rassemblé tout son monde et leur a fait constater la « toute puissance de Dieu capable de transformer des masures en palais. » Il enchaîna sur la grand-messe dominicale et termina, comme il se doit par le « Ite, missa est », « Allez, la messe est dite ! » Satan se tenait sur le qui-vive, prêt à s’emparer de l’âme de toute personne qui décéderait avant les vêpres, mais Tugdual entonna immédiatement le premier chant des vêpres et personne n’eut le temps de mourir. Le Diable était furieux mais l’homme de Dieu avait été plus malin que lui et il le laissa tranquille un moment.
En revanche, ceux qui ont commencé à se montrer exigeants, voire harcelants, c’est « la Famille ». En effet, après toutes ces manifestations miraculeuses, les seigneurs des environs voulaient attirer les bonnes grâces divines et faisaient don de nombreuses propriétés au moine. Sa mère Pompeïa, toute sainte qu’elle était, son frère Hoël et son cousin Deroch insistèrent pour qu’il fasse valider ces titres de propriété auprès du roi Childebert, roi des Francs. Ils insistèrent tant et tant que Tugdual se résolut à partir pour Paris. Il ne se sentait pas très fierr de demander quoi que ce soit à Childebert.
Pourquoi ? C’est ce que je vous raconterai dans la prochaine vidéo.
Allez, Kenavo !
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