Salut, je suis Lize Kergonan et aujourd’hui, je vous parle de Pol de Léon, qu’on connaît aussi sous le nom de Saint Paul « Aurélien » . A ne pas confondre avec le Saint Paul du Nouveau Testament. Le nôtre est né à la fin du Ve siècle, au Pays de Galles. A cette époque, la Bretagne, c’était la Grande-Bretagne d’aujourd’hui ; et la Bretagne actuelle, c’était la Bretagne armoricaine ou Bretagne continentale.
Pourquoi un moine gallois a-t-il une ville à son nom dans le Finistère et pourquoi son culte y a-t-il été célébré jusqu’à aujourd’hui ? C’est ce que je vais vous raconter.
Son père s’appelait Porphius Aurelianus, d’où le surnom de Saint Paul Aurélien, Paulus Aurelianus. Évidemment, ça ne sonne pas très gallois. C’est que les troupes de l’Empire romain avaient quitté l’île depuis pas très longtemps et les familles aisées aimaient conserver leur nom latin et préserver la forme de culture qui allait avec. Ses parents étaient assez fortunés pour l’envoyer à l’école. Au début, son père voulait un héritier qui lui succède, mais Pol a tout de suite su que c’était Dieu qui l’intéressait. Son père a bien essayé de l’orienter vers des études militaires… sans plus de succès. Finalement Porphius a accepté la vocation de son fils – peut-être que Pol l’a quelque peu menacé de la vengeance de Dieu s’il s’entêtait – et Pol est parti au monastère de Saint Illtud. Pour info, je crois qu’il faudrait prononcer « Isstid » en gallois, mais on le trouve francisé en « Iltud », de même que sa paroisse LlannIlltud se prononcerait « san isstid ». Si des spécialiste du gallois veulent me corriger, qu’ils n’hésitent pas à laisser un message dans les commentaires.
Je vous reparlerai de Illtud. Un saint un peu spécial qui avait commencé par laisser tomber ses études, était entré au service du roi Arthur comme chevalier, s’était marié, et finalement, à la suite d’une solide pénitence infligée par un abbé, avait demandé son pardon, abandonné Arthur, la chevalerie, l’épouse puis repris des études religieuses. Finalement il a formé une grande partie des moines et abbés qui ont fondé des monastères en Armorique et encadré les groupes de migrants gallois venus s’y installer au VIe siècle. Je lui consacrerai un épisode après les saints du Tro Breizh et après notre chère Sainte Anne.
Parmi les compagnons de Pol, il y avait Saint David, Saint Samson, Saint Gildas, qui évidemment n’étaient pas plus saints que lui à l’époque. Pol adorait la méditation, la prière, la théologie… et les miracles !
Un exemple de miracle : la salle où l’abbé Illtud faisait classe était si proche du rivage qu’à marée haute, l’eau entrait et mouillait les pieds des élèves, parfois même les obligeait à décamper. Pol et ses camarades sont allés trouver leur maître et lui ont suggéré, puisqu’il semblait avoir de bonnes relations avec Dieu, de le prier de les délivrer des importunités de la mer.
Saint Illtud les emmena à l’église pour faire oraison, puis tous ensemble ils marchèrent d’un pas volontaire derrière l’abbé, en direction de la mer. Illtud brandissait un bâton face aux flots et ceux-ci, comme s’ils avaient craint de prendre sale un coup, reculaient devant la vaillante troupe. Si bien que la mer finit par laisser à sec une large bande de terre et l’abbé lui ordonna, sur un ton qui ne supportait pas la contradiction, de ne jamais revenir perturber l’étude de ces saints petits enfants placés sous sa gouvernance. Ce qu’elle fit ! Et depuis, la mer a toujours observé ces injonctions.
Aujourd’hui, nous craignons l’érosion de nos côtes, les vagues-submersion, la montée des eaux, le dérèglement climatique. Mais a-t-on pensé à demander à Saint Illtud de menacer la mer d’un bon coup de bâton si elle ne cesse de nous importuner !
Sur la terre arrachée à la mer, l’abbé Illtud sema du blé. Quand il fut mûr, on demanda aux élèves de monter la garde à tour de rôle dans le champ pour faire fuir les goélands qui voulaient s’en repaître. Mais une nuit que Pol était de faction, il s’endormit. Et les oiseaux mangèrent le blé. Pendant deux jours, il n’osa se présenter devant l’abbé. Le troisième jour, alors qu’il devisait avec ses camarades, voilà les goélands qui reviennent. Alors, il dit : « Mes frères, prions Dieu qu’il punisse ces oiseaux qui volent notre blé. » C’est ce qu’ils firent. Puis ils les ont encerclés et menés au monastère comme un troupeau de brebis. Pol a dit à son maître : « Voici les voleurs de notre blé. Je vous laisse les punir comme il vous semblera bon. » Illtud, qui ne connaissait pas le rite de confession des oiseaux, leur donna l’absolution et sa bénédiction sans les entendre, sur présomption de bonne foi. Ils s’envolèrent vers la mer et ne revinrent plus.
Donc, quand les goélands foncent en piquée et chipent les sandwiches de vos gamins sur les côtes bretonnes, au lieu râler et de les traiter de sales bêtes, mettez toute la famille à genoux et priez ! Là où vous vous trouvez ! Puis encerclez les oiseaux et emmenez-les à la cathédrale ou au monastère le plus proche pour qu’un prêtre dûment formé les bénisse, ils ne vous dérangeront plus.
Après dix ans passés à Llanilltud, Pol se lassa d’entendre les moinillons brailler la messe dès l’aube et jusqu’au beau milieu de la nuit, il ressentit un immense besoin de solitude. Illtud y vit un appel du Divin et l’autorisa à fonder un ermitage sur un terrain appartenant à son père. C’était en l’an 507.
Pol bâtit une petite chapelle et treize cellules assez éloignées les unes des autres pour lui et les douze condisciples qui le suivirent. Ils vivaient dans la prière et l’austérité qui convient aux ermites, ne buvaient que de l’eau – ni vin ni bière – et se nourrissaient de pain et d’un peu de sel. Au repas du dimanche, ils mangeaient quelques légumes et un peu de poisson, jamais de viande.
En 514, l’évêque de Caer Gwinntguic, (aujourd’hui Winchester) les consacra prêtres. Pol avait vingt-deux ans.
C’est à cette époque que Conomor, connu également sous le nom de roi Marc de Cornouailles (oui, celui de Tristan et Yseult, le roi aux oreilles de cheval) résolut de se convertir au christianisme. Ne me demandez pas pourquoi. Et comme il avait entendu parler de Pol par les populations des environs, il l’invita avec ses compagnons dans son château pour qu’on lui enseigne le catéchisme et qu’on le baptise ainsi que toute sa cour. Pol aurait préféré rester au calme dans les bois, mais l’idée de convertir toutes ces âmes païennes était trop tentante.
Quand tout le monde fut baptisé, le roi Marc voulut lui donner la charge d’évêque de Cornouailles. Mais Pol n’avait aucune envie de se retrouver aux prises avec ces rois et ministres qui ne voyaient dans la religion qu’un moyen d’asseoir leur puissance et qui allaient l’utiliser à des fins politiques. Comme il n’est pas facile de dire « non » à un roi irascible, il demanda son avis à Dieu. Après une nuit passée en oraison, un ange vint lui annoncer qu’il ne devait pas retourner à l’ermitage mais partir avec ses compagnons pour une autre destination. Comme Pol lui demandait laquelle, il lui répondit qu’il verrait bien ! Visiblement, il n’y avait pas moyen de discuter, c’était une question de foi, de confiance en la toute puissance de Dieu !
Fort de la caution divine, Pol annonça à Marc qu’il le quittait. Celui-ci fit un peu la tête et pour marquer son mécontentement refusa de lui donner une petite cloche qu’il aurait aimé emporter pour animer son prochain lieu de prière.
Ils partirent. Ils ne savaient pas où aller, ils se laissèrent porter par la première idée qui se présenta : Pol avait très envie de voir sa sœur, abbesse d’un monastère de nones près de la mer. Ils passèrent trois jours agréables ensemble. Comme il se préparait à repartir, un jour de grande marée, la mer envahit plusieurs salles du monastère. Alors ? Alors ? Devinez ? Oui, bien sûr : Pol avait appris la technique de l’abbé Illtud, et armé de son bâton, suivi de ses douze confrères, il marcha face aux flots et leur ordonna de reculer. Tout comme à Llanilltud, les flots eurent peur de prendre un mauvais coup et se réfugièrent piteusement à quatre mille pas du monastère. Puis Pol dit à sa sœur et à ses filles de délimiter le terrain par des petits cailloux qu’il transforma sur le champ en gros rochers qui depuis s’opposent à la furie des eaux. Il ne conserva qu’un petit accès au rivage pour embarquer avec ses compagnons et depuis, ce passage s’appelle Hent-Sant-Pol, c’est à dire « le chemin de Saint-Pol ». J’ai cherché sur internet où se trouvait ce Hent-Sant-Pol et n’ai rien trouvé. Mais… je fais une totale confiance à Albert le Grand qui mentionne ce lieu dans son livre « Les vies des saints de Bretagne Armorique »3 Une édition est disponible gratuitement sur Gallica, je vous mets le lien dans la présentation sous la vidéo.
Après cela, Pol a tendrement embrassé sa sœur, béni ses filles et c’est ainsi que le petit groupe a quitté le Cornwall, en direction de la Bretagne armoricaine. Certains disent que les saints fondateurs bretons ont traversé la Manche dans des auges de pierre, mais en ce qui concerne Pol, une barque faisait parfaitement l’affaire.
Ils débarquèrent en 517 à Ouessant, île chère aux Bretons, située dans l’Océan Atlantique, à sept lieues de la côte du Bas-Léon. Ils y construisirent un nouvel ermitage, une chapelle et treize cellules, et commencèrent leur vie de moines : prières, chants, austérités en tous genres. Cela dura six mois, jusqu’au moment où Dieu renvoya l’ange qui informa Pol que ce n’était pas là leur destination et qu’ils devaient rembarquer. Pol remarqua qu’Il aurait pu le dire plus tôt, avant qu’il ne construise l’ermitage, mais encore une fois, Dieu n’était pas ouvert à la discussion. Au moins, ils avaient marqué durablement leur séjour puisque la ville principale d’Ouessant s’appelle Lampaul !
Les voilà donc repartis sur leurs barques, longeant les côtes du Léon d’Ouest en Est jusqu’au port du Kernic dans la paroisse de Plounevez.
L’endroit était calme et agréable – enfin, « calme », c’était tout de même déjà un climat breton ! – et ils s’apprêtaient à y construire un monastère, quand Pol reçut un nouveau message : ce n’était pas encore leur destination. Les moines marchèrent, marchèrent jusqu’à un oppidum qui par la suite a pris le nom de Kastell-Paol, avant de devenir la ville de Saint-Pol-de-Léon. Étant donné que les indications de Dieu n’étaient pas des plus précises, quand ils ont croisé un berger, ils y ont vu un signe de la Providence et lui ont demandé qui dirigeait ce pays. Il a répondu que c’était le comte Withur, qui résidait sur l’île de Batz, face à Roscoff.
Pol s’y fit conduire et, afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur sa personne et ses pouvoirs, en chemin il rendit la vue à trois aveugles en les touchant de son bâton et la parole à deux muets d’une simple bénédiction.
Nous retrouverons les aventures de Pol dans un prochain épisode.
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